Troisième volet des reportages d’Ayann au Brésil. La jeune Reporter de Boulogne a assisté au premier tour de la présidentielle. Et constaté le désintérêt de la plupart des Bahianais pour le scrutin. Ce qui relativise la portée politique de la victoire de Dilma Rousseff ce dimanche 31 octobre avec 56 % des voix. La candidate du Parti des travailleurs devient ainsi la première femme à diriger le pays.

Le dimanche 4 octobre dernier, les Bahianais ont vu leur routine un peu chamboulée. En effet, pour le secrétariat à la sécurité publique du district fédéral, il n’est pas possible de boire et de voter en même temps. A donc été interdit le commerce de boissons alcoolisées à partir du 3 octobre minuit jusqu’au 4 à la même heure. Tous les états ne l’ont pas respecté, mais c’est la « tête froide » que les Bahianais ont participé au premier tour des élections présidentielles. Pour beaucoup, un vrai casse-tête chinois.


Le Brésil a officiellement un taux d’alphabétisation de 90 %. Le système scolaire, notamment dans le Nord-est du pays, est catastrophique. Ici, l’école publique est souvent en grève, un mois sans cours dans le meilleur des cas. Les enfants ont du mal à rester à l´école, qui est pourtant obligatoire jusqu’à quatorze ans. Depuis peu, grâce au gouvernement de Lula et à sa « bolsa familia » (bourse familiale), les parents touchent une somme d’argent si leurs enfants sont scolarisés et vaccinés. Mais pour les adultes, il est souvent trop tard.

Les Bahianais ont dû, comme chaque fois pour ce type de scrutin, élire six personnes en même temps : un député de l’état, un député fédéral, deux sénateurs, un gouverneur et un président ! Un petit papier est distribué avec des cases qui servent à écrire les numéros des candidats. Et une ligne est préalablement remplie à titre d’exemple. « Beaucoup d’électeurs qui ne savent pas comment faire vont simplement reproduire ce qui est déjà inscrit », explique Felipe, un carioca en vacances à Bahia. D’ailleurs, ces petits papiers sont confectionnés par le parti d’un des candidats, qui aura son nom, sa photo et, bien sûr, son numéro au dos. Le même numéro qui sert d’exemple ! « Il fait ça pour aider les gens, mais n’oublie pas son propre intérêt », commente Felipe.

« Les Bahianais n’ont pas l’habitude de lire des livres ou un journal, confirme Adriano, employé d’une auberge de jeunesse. Les gens ne sont pas intéressés par la politique. » Ici, une bonne partie des campagnes se fait à la télévision. Au Brésil, la télé est très importante, on la regarde longtemps et souvent, et les novelas (séries romantiques brésiliennes) sont incontournables. Les politiques le savent et le prouvent par des passages réguliers et par la longueur de leurs spots de campagne. Il arrive quand même qu’un petit agriculteur de campagne n’ait pas la télévision. Dans ce cas-là, explique Rossana, thérapeute, « les électeurs ne savent rien, même pas qui sont les candidats. C’est comme ça que les politiques récoltent les votes : ils frappent à leur porte, leur promettent monts et merveilles, et comme c’est le seul candidat qu’ils connaissent, ils votent pour lui ! »


Les achats ou ventes de votes en échange d’un autoradio ou d’un sac de ciment sont banalisés. « Ici les gens ne mesurent pas l’enjeu de la présidentielle ou d’un vote tout court. Ils vont voter comme s’ils pariaient sur un cheval : le but est de voter pour les gagnants », raconte Arnaud, un Français installé au Brésil depuis plus de quinze ans. Du coup, les sondages vont souvent induire le vote : lorsqu’on prévoit un gagnant, les moins informés cherchent à voter pour celui qu’on estime sur la bonne voie.

La plupart des gens des petits villages montrent peu d’intérêt pour les élections et ne savent pas quoi penser. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles le vote est obligatoire : tout majeur doit voter, ou au moins justifier son abstention, sous peine d’une amende de trois réals qui augmente avec le temps. Malgré cela, il y aurait eu 21 % d’abstention au second tour de la présidentielle, ce dimanche 31 octobre. Et il n’y a pas que dans le Nord que l’on ne vote pas, ainsi tout les sudistes installés à Bahia ne font que justifier leur abstention. C’est le cas de Felipe : « Je ne vote pas parce que je suis à Bahia, mais ce ne serait pas bien différent si j’avais été à Rio, car je suis fatigué de toute la corruption que l’on trouve partout, et spécialement en politique. » Ce policier carioca sait que la corruption est le grand mal du Brésil. Les affaires font souvent surface . A l’image du scandale qui a entaché la campagne de Dilma, candidate du Parti des travailleurs (PT), qui s’est trouvée mêlée à une histoire de trafic d’influence. « De toute manière, pour moi ça ne changera rien, le gouvernement de Lula n’a presque rien fait pour les classes moyennes », ajoute-t il.

A Bahia, c’est le PT qui recueille le plus de voix. Les réformes de Lula, qui ont souvent bénéficié à la population la plus pauvre du Brésil, ont permis au président et à ses partisans de rester populaires. Cela n’empêche pas les partis de payer les citoyens pour qu’ils distribuent des tracts. Atenildes, 25 ans, mère d’un enfant, y participera pour se faire 50 réals de plus ce mois-ci. On donnera également un petit quelque chose aux citoyens qui collent des affiches de campagne sur leur voiture ou au dessus de leur porte. On pensera aussi à les divertir en faisant défiler un homme déguisé en femme sur le toit d’une voiture : lorsque qu’il essaiera de rallier les gens au parti, on lui prêtera sûrement plus d’attention, les politiques l’ont bien compris.

Le second tour de ces élections a eu lieu ce 31 octobre, et Dilma Rousseff, désignée comme « dauphin » par Lula et favorite des sondages, l’a emporté avec 56 % des suffrages. Pari gagné ?

Ayann Koudou

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