Après avoir squatté le 2 mai 2011 un immeuble situé au 51 avenue Simon-Bolivar (Paris 19e), près de 140 migrants tunisiens ont été délogés avec violence dès le lendemain par les forces de police. Mercredi 4 mai, Sofien et Khalid sont retournés au Parc de la Villette. Monia Ben Hamadi, de Génération Jasmin, leur avait donné rendez-vous pour leur présenter d’autres associations et recueillir le témoignage de jeunes migrants. Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu. Récit.

Une fois arrivés devant le Parc, Monia nous téléphone pour nous annoncer qu’elle aura une heure de retard. Nous demandons alors aux associations présentes l’autorisation de faire une interview vidéo. « Pas de souci pour nous interviewer », répond une responsable associative. Elle demande en revanche de ne pas filmer les jeunes, « très énervés par les reportages que les télévisions ont réalisés sur leurs conditions de vie depuis leur arrivée à Paris ».

Une fois l’interview terminée et alors que nous nous apprêtons à partir, un jeune à l’extérieur du parc nous fait signe de venir le voir. « Je vous ai entendu discuter avec les associations. Moi, vous pouvez m’interviewer avec mes amis, il n’y a pas de problème. Je finis de manger et je répondrai à toutes vos questions, parce que j’ai des choses à dire. Je suis diplômé bac + 3, je veux vraiment rester en France et travailler », explique-t-il d’un ton assuré. En attendant qu’il termine son repas, nous entrons dans le parc, caméra éteinte, et demandons aux personnes que nous croisons la permission de faire un interview vidéo,. L’une d’elles nous montre du doigt des habitations de fortune vers lesquelles nous nous dirigeons pour recueillir des témoignages. Tous veulent nous parler, mais certains nous demandent de l’argent, d’autres ne souhaitent pas être filmés, ou nous proposent de les flouter, ce que nous refusons.

Nous repartons donc vers la sortie en nous dirigeant vers le lieu où se trouvaient les jeunes désireux d’être interviewés. Mais ils ne sont plus là «  Ils sont là-bas », me lance Sofien qui les aperçoit dans le parc et se dirige vers eux en courant. Je le suis et, tout en marchant, je fais un plan large du parc. Puis j’entre en faisant un gros plan sur un affichage sauvage contenant diverses informations, pour terminer sur un zoom vers Sofien, qui a déjà rejoint les jeunes au bout du parc.

« Il nous a filmés ! Il nous a filmés ! », crient des jeunes à droite et derrière moi. Je tourne la tête et vois une multitude de personnes se diriger vers moi. En quelques secondes, des dizaines de migrants m’entourent : « Tu es journaliste ? », me demande une personne dans la foule. « Oui, pourquoi ? » « Tu nous as filmés, tu vas faire un reportage et montrer notre misère comme France24 et les autres, et mettre la vidéo sur Internet et Facebook. On sait comment vous faites », répond-il avec rage tout en essayant de me prendre la caméra.

«  Lâche la caméra ! Mais qu’est-ce que tu veux ? », dis-je en tirant sur le Monopod du plus fort que je peux. « On veut voir la vidéo pour savoir si tu nous as filmés ». Voyant la situation s’envenimer, des personnes se mettent à hurler : « Laissez-les ! ».Tout en nous tirant de la foule, elles nous montrent la sortie. « Partez avant que ces jeunes deviennent incontrôlables, ils ont fait pareil hier avec Arte ! », me lance une femme d’une quarantaine d’années, totalement apeurée.

Nous nous dirigeons donc en courant vers la sortie, mais devant l’entrée, les jeunes reforment un cercle autour de nous, et certains essayent de me prendre la caméra. D’autres nous balancent des injures et leur haine des médias ? J’essaie de discuter : « Bon, vous voulez quoi ? Voir la vidéo pour être sûrs que je ne vous ai pas filmés ? » Tout le monde crie : « Oui ! ». À ma gauche, je trouve un homme qui semble faire partie des leaders, et je le prends comme témoin en m’adressant à la foule : « Voilà, je vais aller un peu plus loin, je vais lui montrer la vidéo et, s’il juge que vous avez raison, je lui donne la cassette… Vous lui faites confiance ? ». Sur ces mots, je traverse la rue avec lui, mais tout le groupe nous suit quand même : «  Nous aussi, on veut voir ! ». Je me retrouve coincé entre le mur du pont à l’entrée du parc et une centaine de migrants tunisiens en demi-cercle face à moi, qui paraissent de plus en plus impatients de voir cette vidéo tous en même temps, sur le minuscule écran de la caméra !

Je ne vois plus Sofien… Je l’appelle, mais pas de réponse, et personne à l’horizon : il a dû réussir à s’enfuir… enfin je l’espère ! La foule s’excite de plus en plus, et je ne sais plus quoi faire. J’essaie de leur parler en arabe pour qu’ils comprennent que je ne les ai pas filmés et que je suis pas responsable de l’information des autres médias. « Je suis maghrébin comme vous, je comprends la rage et la haine que vous avez face à vos conditions d’accueil en France… ». Mais ils ne veulent rien entendre. Et là, comme sortie de nulle part, une femme d’une cinquantaine d’années et d’environ 1m60 sort de la foule, se dirige vers moi, s’arrête devant ce fameux leader, lève la tête, hausse les épaules et se tient droite comme un roc : « Laissez-le partir ! Vous n’avez pas honte de lui faire ça ? Tous ces gens qui viennent vous aider, et c’est comme ça que vous les remerciez, en agressant des journalistes ? » J’aperçois une issue de secours formée par les militants associatifs, que je croise du regard un quart de seconde. Ils m’attrapent et m’éjectent une fois encore de la foule en criant : « Cours, cours, pars d’ici… Dépêche-toi, ça va mal se terminer ! »

Je cours le plus vite que je peux en longeant le parc avec tout le matériel arnaché à moi. À l’intersection suivante, je me retourne et vois une dizaine de personnes me courir après. Je sors la cassette de la caméra quand une personne m’attrape par derrière. Avant qu’elle ne puisse me dire un mot, je lui lance : « C’est la vidéo que tu veux ? Tiens, et laisse-moi tranquille ! » Un autre s’interpose entre lui et moi pendant que je donne la cassette : « Laisse-le tranquille, ça y est : il t’a donné la vidéo ? » « Non je veux qu’il me montre la caméra et qu’il l’ouvre, je suis sûr qu’il m’a donné une autre cassette ». J’ouvre la caméra, il voit qu’elle n’y est pas, mais reste suspicieux. L’autre me tire par le bras et m’emmène dans un café, tout en m’expliquant : « Dès que j’ai entendu que tu étais marocain, je me suis dit que je devais t’aider. Tu sais, ce n’est pas de leur faute : ils sont énervés parce que leurs parents et amis ont vu les reportages sur Internet ».

Pendant qu’on discute, mon téléphone sonne. C’est Sofien : « Allo Khalid, comment ça va ? Tu es où ?» Lui aussi est dans un café et m’invite : « Viens nous rejoindre à cette adresse, je suis avec Monia ».

Khalid Nahi

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