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Consultant, comédien, animateur et fondateur du cabinet Sensitive Ways, Franck Pruvost est un non voyant hyper actif. A l’occasion d’une conférence organisée en mai 2017 par la Rencontre Renaissance, il revient sur son parcours atypique. Témoignage.

Par Shehrazad Siraj

Vêtu d’un élégant costume, s’exprimant souvent avec ses mains, Franck Pruvost est un être singulier qui inspire bienveillance et chaleur humaine. Souriant, debout devant l’assistance, il confie ses craintes, ses contraintes et ses obstacles, sans oublier de partager l’espoir de ses réussites.

« Nous sommes tous différents. Mais si on arrive à communiquer, en gardant à l’esprit cette humanité qui nous lie, on ne pourra qu’avancer », garantit le consultant, dont le cabinet a pour but de placer la sensibilité humaine au centre de l’univers professionnel. « Au fur et à mesure du temps, je me suis rendu compte qu’effectivement, je suis aveugle et que c’est ainsi. Mais que ce handicap m’a permis d’être plus sensible sur certains points, plus attentif aux individus, plus à l’écoute. »

« La différence fonctionne de deux façons : elle peut être une force ou la raison pour laquelle on s’apitoie sur son sort », considère l’humaniste, tout en rappelant «  que nous avons tous des talents cachés que l’on peut rendre visibles ». A trente-cinq ans, il explique à quel point se réapproprier le handicap lui était nécessaire, insistant sur le fait qu’il est important d’être conscient de sa différence, afin d’en tirer une singularité bénéfique et se distinguer. Selon lui, les efforts permettent une «  reconquête de notre propre identité », que l’on peine souvent à assumer. « Avant, je n’indiquais pas mon handicap sur mon CV, maintenant, c’est un peu mon argument commercial », estime-t-il avec humour. « Il ne faut pas nier la différence mais l’intégrer dans son projet professionnel. Car cette dernière est une richesse ».

Avant ses vingt-et-un ans, il se définissait comme un « gros bébé savant ». Le fondateur de Sensitive Ways a poursuivi de brillantes études, intégrant une classe préparatoire puis l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Paris (HEC). Sa famille considérait qu’il devait réussir mieux que tout le monde, en raison de son handicap. Malgré ce parcours exceptionnel, il n’est pas très fier de cette période. « Je n’étais pas du tout autonome, quand je voulais dîner, je proposais à mes amis de m’accompagner, mais ils ne pouvaient pas forcément et il m’arrivait souvent de me contenter d’ouvrir le placard et d’en sortir un biscuit. Je ne pouvais pas non plus chercher une baguette au coin de la rue. Je ne connaissais pas l’école de la vie », regrette-t-il.

Le théâtre comme tournant majeur

« Une fois diplômé, je me suis lancé dans le théâtre, même si j’avais peur de l’impact de ma différence », se souvient-t-il avec nostalgie. Son inquiétude s’est vite dissipée puisque dès le premier cours, le professeur demanda à tous les participants de fermer les yeux pour avancer. « Et lorsque tout le monde me parla normalement, je me suis senti pour la première fois de ma vie, pas si différent que ça. Dans ce cours, je passais enfin inaperçu ! », raconte-t-il avec émotion. Le théâtre fut donc un tournant majeur dans sa vie. « Avant, je n’avais jamais embrassé une fille. Elle a changé le regard que je portais sur moi-même, elle m’a fait porter des boxers, alors que j’étais abonné aux slips ! Et j’ai arrêté les mocassins, pour des chaussures plus rock ‘n roll », ajoute-il l’air très amusé.

« La différence est une force. Quand on réfléchit aux personnes ayant réussi, elles sont souvent différentes. C’est leur point commun. Il ne faut pas craindre l’altérité, parce que l’autre peut être un miroir et nous permettre de nous enrichir par sa différence. On ne vaut jamais mieux qu’avec un autre », nous explique le consultant, l’air convaincu et tout en citant Norbert Alter, l’auteur du livre La force de la différence. Itinéraires de patrons atypiques.

« Qui se sent différent ? A l’applaudimètre, parce que si vous levez la main, je ne pourrai pas savoir », demande-t-il à l’assistance en riant. La salle devient soudainement bruyante, l’écrasante majorité des personnes présentes se sentant singulières. « Tout le monde veut être un leader absolu mais c’est impossible », lance un jeune homme dans la salle. « Nous pouvons être spécialistes dans certains domaines, mais nous restons complètement ignorants sur de nombreuses choses. C’est la raison pour laquelle il faut s’entourer de talents », lui répond Franck. « Un personnage sortant du lot, par sa singularité, apporte beaucoup plus. La diversité dans les associations et les entreprises est d’ailleurs de plus en plus valorisée. Il faut avoir l’audace d’aller où les autres n’iraient pas. Il faut rechercher les « étincelles créatrices » », poursuit-il. La différence a une valeur sociale. « Souhaite-t-on une société de cases ? », s’interroge l’humaniste. Son handicap lui permet de se sentir proche de toute personne qui se sent différente et exclue, car pour lui la différence peut nous inciter à faire preuve de plus d’empathie.

Cependant, la singularité peut aussi être une grande source de difficultés. Le fondateur de Sensitive Ways nous confie qu’il est souvent étiqueté comme « l’aveugle », bien qu’il se considère avant tout comme une personne, dont le handicap n’est qu’une dimension de son histoire personnelle. Le comédien nous explique également qu’il n’apprécie pas que l’on demande aux personnes de chuchoter dès qu’elles remarquent sa cécité, dans la rue par exemple. Cette hyper précaution peut sembler agressive. « Il ne s’agit pas de nier sa différence, mais de ne pas être obsédé par celle-ci ». Au quotidien, ne pas être comme les autres peut donc être source de tristesse. « Le minimum syndical, c’est de toujours écouter les personnes en souffrance. C’est important. Ce n’est pas grand-chose, mais ça compte pour elles. Il ne faut pas non plus se décourager dès qu’il y a un obstacle », insiste-t-il.

« Malgré une certaine émergence de personnalités singulières dans les entreprises, cela peut faire peur, puisqu’une personne différente pourrait d’une certaine façon être leader et donc inspirer une certaine méfiance à ceux détenant le pouvoir », prévient Franck. Une jeune femme dans le public rappelle également que « dans la société, l’entre-soi est valorisé, c’est une norme sociale. L’élite bourgeoise continue d’être très influente, bien que certains réussissent sans en faire partie, en étant différent, même si cela peut être difficile ». Franck Pruvost en est convaincu : « différence est l’avenir », conclut-il, inspiré par la diversité des personnes présentes dans la salle, de tous âges et issues des quatre coins du monde.

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