Depuis quelques années, les collèges font face à une recrudescence des exclusions temporaires. En septembre 2010,  l’inspection académique de Créteil a mis en place une « classe citoyenne » pour accueillir les jeunes pendant leur exclusion. « Ce dispositif est parti d’un diagnostic : beaucoup d’élèves étaient dehors après avoir été exclus par des conseils de discipline », explique Géraldine Boudignon, chargée de mission à la Mission Ville de Créteil. Cette classe repose sur le volontariat des collégiens exclus et de leurs parents. Ils s’engagent à être présents toute la semaine et à suivre le programme prévu. La classe citoyenne peut accueillir au maximum huit élèves par semaine, de la 6e à la 3e. Le corps encadrant se compose d’une institutrice référente, un médiateur, un éducateur sportif et une psychologue. Récit d’une journée passée au sein de la classe citoyenne de Créteil.

8h50. Les enfants sont intrigués de me voir parmi eux, autour de la table. Tous attendent avec impatience de connaître mon prénom. Ils sont curieux de connaître la raison de ma visite. Après avoir compris que je fais un reportage, ils sont étonnés mais enthousiastes à l’idée que je vienne les observer. Fin des présentations : Laurène, l’institutrice référente, propose une ronde de l’actualité. A la une, les manifestations en Tunisie et en Egypte. Sofia et Illyés, tous deux en 3e, ont conscience du soulèvement en marche dans ces deux pays. Les autres, plus jeunes, sont moins bavards sur la question. Peu à peu, les discussions se dirigent vers les religions monothéistes, et chacun trouve son mot à dire.

Photo N’Fanteh Minteh

10h. Première pause de la journée, les enfants retirent leurs portables et Mp3 de la boîte prévue à cet effet. Les garçons vont dans la cour jouer au ballon. Sofia, la seule fille, écoute de la musique. La classe est une petite pièce vive avec ses murs couleur jaune cassé. Une table en forme de U occupe la pièce, où chacun est au même niveau. « Il n’y a pas de fond de classe, donc pas de mauvais élève », explique Laurène.

10h25. Fin de la pause. Début de l’exercice des fiches citoyennes. Chaque élève dispose de trois fiches sur lesquelles sont inscrites trois questions. La première a trait au collège, une autre est relative à la famille, et la dernière concerne les enfants eux-mêmes. Jules, en 5e, lit une fiche à propos du scooter « Dès quatorze ans, peut-on conduire un scooter, une petite cylindrée de 50 cc ? » Saïd, élève de 4e, répond : « Nous, dans nos quartiers, on peut conduire des scooters ». Laurène rebondit en déclarant : « Il y a ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Voilà ce que la loi dit : il est nécessaire pour conduire un scooter de passer en 3e le Brevet de sécurité routière». Chacun leur tour, les élèves choisissent une fiche qu’ils lisent, commentent, et l’institutrice les informe des dispositions prévues par la loi.
Les interventions sont constamment interrompues. Car Patrice, le médiateur, et Laurène font à plusieurs reprises des rappels sur leurs comportements : bruyants, les élèves tiennent des propos injurieux les uns envers les autres, « Ils ne se rendent pas compte qu’ils jouent contre eux-mêmes », regrette Patrice. « J’essaie de leur élargir le vocabulaire, à partir de leur gros mots par exemple », renchérit Laurène.
La lecture des fiches se poursuit. « Est-on responsable de nos actes quand on a 14 ans ? », lit Illyés. Sofia raconte une anecdote pour répondre à cette question : « Une fois, avec une copine, on a volé des choses à C & A. On s’est fait choper, ils nous ont gardées dans une pièce, puis ils nous ont relâchées quand les parents sont venus nous chercher. On n’a rien eu ». «Tu es une fille, tu ne dois pas faire des choses comme ça ! », lui reproche Illyés. « C’est pareil que l’on soit une fille ou un garçon, rétorque Laurène. A 14 ans, on est responsable. On peut être condamné à des sanctions éducatives : lettres d’excuses, travaux d’intérêt généraux… Cela peut aller jusqu’à un placement judiciaire. »

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11h30. Départ pour l’Hôtel de Ville. « Le maire de Créteil  a souhaité que les enfants déjeunent à la cantine de l’Hôtel de Ville », précise Géraldine Boudignon. Avant de partir, Laurène fait une mise au point sur l’acharnement dont est victime Karim, élève de 6e. Etant le plus jeune de cette session, il est confronté depuis le début de la semaine à un rejet unanime de ses camarades. Notamment Saïd, qui n’arrête pas de l’embêter ou de lui chercher des histoires. « C’est trop facile de s’en prendre tous à une personne, surtout si c’est le plus faible », réprimande Laurène.
Pendant le repas, l’ambiance est plus détendue, malgré de petits incidents. Les discussions donnent lieu à quelques confidences. Illyés, mon voisin de table, me lâche tout naturellement : « Le Illyés de la classe citoyenne, ce n’est pas le Illyés de mon collège ». « La classe citoyenne, c’est mieux : on peut parler de pleins de choses, c’est plus intéressant », ajoute Sofia.

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Le retour en classe se fait dans la bonne humeur. Tous sont préoccupés de savoir quelle sera la matière étudiée cet après-midi : français ou maths ? Le verdict tombe. « Ce sera maths, les enfants ! », déclare Patrice. Ce qui fait leur bonheur, car le français ne vole pas très haut dans leur estime. « Au cours de cette semaine, j’ai constaté que les enfants ont beaucoup de difficultés en français, notamment en syntaxe et en orthographe», confirme l’institutrice.

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13h30. Début du cours de maths. Au programme, résolution de problèmes mettant en pratique la règle de trois. La concentration semble difficile à trouver. Saïd et Sofia sont dans le coup. Jules et Karim, plus jeunes, sont quelque peu largués. Illyés et Joe, un 6e plutôt comique, sont clairement inattentifs. Après plusieurs rappels à l’ordre et demandes de retour au calme, trois problèmes seront résolus.

14h45. Pause avant le cours de sport. Profitant de l’absence des profs, l’acharnement contre Karim se poursuit. Cette fois, c’est Joe qui veut lui donner des ordres. Sofia inscrit au tableau « à 16h15, on se barre ». Et Joe propose que tout le monde dise que c’est Karim qui a inscrit cette phrase afin qu’il se fasse punir. Sofia est enchantée à cette idée. Mais Laurène n’est pas dupe, elle a vu clair dans le jeu des enfants.

15h. Cours de ping-pong au gymnase Dassibat. Les élèves, enthousiastes, organisent des matchs entre eux. Jusqu’au moment où Jules, Joe et Saïd répètent à plusieurs reprises qu’ils ne veulent plus jouer avec Nassim car « il est nul et nous fait perdre notre temps ». Jules arrête même de jouer. L’institutrice est très déçue et mécontente de l’attitude des deux garçons qu’elle qualifie de « méchante ». Elle ajoute qu’elle le signalera dans leurs cahiers bilans. Quant à savoir si les élèves retiendront quelque chose de cette semaine, Laurène reste optimiste. « Pour Sofia et Illyés, j’ai pu constater des progrès. Pour d’autres, la semaine est trop courte pour afficher des avancées ».

Après tout ce qui s’est passé, cela n’a pas empêché Saïd d’attendre Nassim afin qu’ils rentrent ensemble dans leur quartier comme si rien ne s’était passé…

N’Fanteh Minteh

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