Du 28 au 31 octobre 2010, le Forum mondial de l’éducation (FME) s’est déroulé pour la première fois en Palestine. Ayann (Boulogne-Billancourt) a rencontré Fatima, une militante française qui a participé au FME. Elle a complété son enquête par des infos trouvées sur Internet pour tenter de nous restituer l’événement.
Créé en 2002 au Brésil, le Forum mondial de l’éducation (FME) s’inscrit dans le cadre du Forum social mondial : « Un espace de rencontre ouvert visant à approfondir la réflexion, le débat d’idées démocratique, la formulation de propositions, l’échange en toute liberté d’expériences et l’articulation en vue d’actions efficaces, d’instances et de mouvements de la société civile qui s’opposent au néo-liberalisme et à la domination du monde par le capital et toutes formes d’impérialisme », comme le précise la Charte de Porto Alegre. Après un an de préparation, les organisateurs ont réussi à ce que cette manifestation, complètement autogérée, se déroule sans trop d’encombres. Un symbole qui redonne de l’espoir.
Pourquoi parler d’éducation en Palestine ? Malheureusement, ce pays occupé et colonisé par l’Etat hébreu est toujours assimilé à des nombres. Nombre de morts, de blessés, de nouveaux bâtiments dont Israël autorise la construction en territoire palestinien, de mois de gel des constructions, d’années de négociation… La voix des Palestiniens ne s’exprime, ou plutôt n’est entendue, que très rarement, voire jamais. « Pourtant, c’est un pays riche de culture », rappelle Fatima, une militante française qui a participé au FME. La Palestine a une histoire forte, des peintres, une musique traditionnelle, des écrivains, des cinéastes, des poètes, un art culinaire… On peut même penser que le conflit avec Israël donne encore plus de volonté aux Palestiniens pour faire entendre leur voix grâce au pacifisme de l’art.
Très peu de gens savent que la Palestine est l’un des pays les mieux éduqués du monde arabe. « Pour les Palestiniens, l’éducation est un moyen de résistance par excellence, et ils s’y investissent beaucoup », explique Fatima. Le seul problème, c’est l’occupation. Quelle est la plus grande difficulté ? Ne pas pouvoir circuler aisément, devoir faire parfois quatre heures de trajet pour aller étudier, passer les check points, être empêché de communiquer avec l’extérieur…
Voilà pourquoi le Forum s’est installé en Palestine. L’objectif était de parler, échanger, se rencontrer, partager… Les nombreuses associations de solidarité internationale présentes ont pu connaître les méthodes de travail des Palestiniens, et parfois monter des projets avec leur collaboration. Des militants des quatre coins du monde et les gens déjà sur place ont pu méditer sur l’importance de l’éducation dans la société d’aujourd’hui. Comment construire une société ? Comment ne pas produire des clones standardisés, formatés par une éducation similaire dictée par le capitalisme et la société de consommation ? Comme la Charte de Porto Alegre le prévoit, il s’agit bien de bâtir un monde meilleur. Une utopie, une gageure, on l’appellera comme on voudra, mais une rencontre qui montre que les esprits réfléchissent ensemble et soutiennent une population meurtrie.
Près de 2 000 personnes étaient présentes à la manifestation d’ouverture. « Les Palestiniens ont participé aux nombreux débats, ateliers et activités, mais les difficultés de déplacement n’ont pas aidé. Ajouté à un problème de mobilisation, leur présence était plutôt faible pendant la durée réelle du Forum», reconnaît Fatima. Cependant de nombreuses associations et leur militants, venus du monde entier, ont fait le déplacement. L’Italie, la France, l’Allemagne, mais aussi le Niger, l’Inde, Israël, le Brésil et beaucoup d’autres, étaient représentés.
Les associations étudiantes Tadamon Sorbonne, Epices Paris 13 et Sud Paris 8, réunies au sein du collectif Educ’action, ont décidé de travailler ensemble et de créer sur place « une couverture médiatique avec la collaboration d’étudiants palestiniens », raconte Fatima. Ils ont bénéficié d’une formation préalable et du matériel nécessaire au projet. « Cela a permis de réaliser de nombreuses émissions de radio, d’exposer des photos dans les facs et sur les murs de Paris, et bientôt de produire un film sur cet événement mondial. »
L’événement a aussi connu sa part de difficultés. « Tous ceux qui désirent se rendre en Palestine doivent passer par Tel Aviv, rappelle Fatima. Des militants identifiés comme activistes ont été refoulés à la frontière. Les arabes, les noirs, et plus systématiquement les musulmans, ont fait l’objet d’une forte discrimination. » Un des articles du projet Educ’action, titré « La religion de ton prénom », détaille très bien ces difficultés. En voici un exemple : « Une fois embarqués, c’est convenu, nous sommes de simples touristes. Dans nos sacs, juste quelques titres de presse insignifiants, et surtout, aucun bouquin ou document qui puissent éveiller quelques soupçons. Tel une bande de joyeux lurons insouciants – et il y en a –, nous sommes partis en Israël “for having fun” et pour faire la tournée clubbing de Tel Aviv. » Des interrogatoires long et oppressants, la peur du contrôle et de la décision arbitraire furent sûrement les plus gros obstacles pour les participants.
Les débats et activités ont été conçus pour faire progresser tous les participants et illustrer la doctrine du Forum social mondial : « Un autre monde est possible ». Par exemple, un match de football un peu particulier a été organisé. Chaque joueur doté d’un brassard devait l’enlever lorsqu’il marquait un but. Puis, sans son brassard, il ne devait plus marquer, mais simplement aider ses coéquipiers à faire de même. L’objectif étant que tous les joueurs puissent marquer. « Un foot participatif, loin du star system », commente Fatima.
De multiples conférences ont été organisées sur des thèmes variés, différents et parfois tabous, comme l’éducation sexuelle. Elles ont permis aux personnes présentes d’être mieux informées et d’obtenir des réponses à leurs questions.
La communauté internationale présente a pris conscience que, malgré la situation difficile de la Palestine, sa population existe, sait échanger, partager et apporter sa vision de l’éducation au sens large. On ne peut réduire ces hommes et ces femmes au conflit. Il y a aussi une vie intérieure, certes compliquée, mais organisée. Et les Palestiniens, même épuisés, savent que les armes ne seront jamais aussi fortes que le pouvoir de la pensée et de l’ouverture aux idées.
Ayann Koudou