Aller en Tunisie et au Forum Social Mondial 2015 était une première pour Djigui, 23 ans, reporter citoyen originaire de Grigny (91). Témoignage touchant d’un apprenti journaliste qui a vécu la couverture médiatique de l’événement comme une expérience pédagogique et humaine inoubliable.
Le 23 mars 2015, j’ai débarqué à l’aéroport de Tunis Carthage qui nous a accueilli avec un grand soleil. Accompagné de mes camarades de Reporter Citoyen : Engueran, Haya, Assa et Atouma nous étions venus couvrir le Forum Social Mondial avec la revue Altermondes.
Durant une semaine, nous avons écrit des articles et réalisé des reportages vidéo sur de multiples sujets : écologie, racisme, santé, travail, etc. Une occasion de rencontrer de superbes personnes, dont certaines m’ont particulièrement marquées.
Jeunesse, espoir et terrorisme
De jeunes tunisiens du projet Jaridaty, qui comme nous, étaient en formation de journalisme citoyen, nous ont accueillis dans leur salle de rédaction à l’université Al Manar, au cœur même du FSM. Dès le lendemain de notre arrivée, un débat était organisé entre les deux groupes de jeunes pour témoigner de nos ressentis face aux attentats récents qui ont touché nos pays respectifs. À Paris, comme à Tunis nous dénoncions avec vigueur ces actes inqualifiables.
Pourquoi des jeunes partent faire le djihad en Syrie ? Contre qui ? Pourquoi les quartiers populaires ou les prisons sont-ils des terreaux fertiles pour l’extrémisme ? Autant de questions auxquels nous avons tenté de répondre ensemble. L’éducation, l’échec scolaire, la marginalisation des jeunes, le manque de repère et de soutien, la pauvreté, ainsi que le chômage nous a semblé être à l’origine du terrorisme. Car au fond, la religion n’autorise pas ce comportement…
Riche et très animée, ce débat nous a confirmé que nous voulions tous lutter ensemble à l’avenir pour endiguer ce fléau, malgré les difficultés et parfois le sentiment d’impuissance.
Côté journalistique, je trouvais que les cours tunisiens étaient parfois mal organisés, et que contrairement à nous, ils n’avaient pas tous les outils nécessaires pour faire un reportage ou une interview dans les meilleures conditions. Néanmoins, avec le peu de moyens qu’ils avaient, j’ai trouvé qu’ils s’en tiraient pas mal ; ils arrivaient à faire de très bons sujets vidéo avec de simples téléphones portables.
Humainement, la rencontre avec les jeunes tunisiens fut marquée par une extrême gentillesse envers nous, d’une grande fraternité. Je pense particulièrement à Ghassein, colosse et aussi doux qu’un agneau, la belle Wahaad, toujours souriante et prête à aider tous le monde. Et surtout Younès, mon cadet d’un an, très sociable et déterminé dans tout ce qu’il fait.
Racisme anti-Noirs
En venant, en Tunisie j’avais pour objectif d’approcher mes frères et sœurs Noirs qui subissaient le racisme ici et qui aurait pu me parler de leurs souffrances. Lors d’un atelier-débat sur le sujet, j’ai été particulièrement touché par le « Collectif tunisien de la marche de l’égalité » qui lutte contre le racisme à l’encontre de la population noire en Tunisie.
Bien que pour moi la rencontre fut forte, le bruit incessant dans la salle et en dehors, et le manque d’interactions des intervenants avec le public est venu un peu ternir le tableau. Déçu par les interventions trop magistrales d’un anthropologue blanc non tunisien, d’une historienne blanche non tunisienne, et d’une thésarde en sciences sociales, blanche tunisienne et d’un militant associatif sénégalais, j’étais surpris par le peu de représentation et prise de parole de la modératrice du débat : Mahab Abdel Hamid du « Collectif de la marche de l’égalité ».
J’avais l’impression que les intervenants venaient raconter leurs histoires, et si nous n’étions pas d’accord et bien temps pis pour nous. Pour autant, les questions du public étaient floues, sans doute en raison du peu de place laissé au dialogue. À la fin de la conférence, j’ai donc décidé d’interviewer Mahab Abdel Hamid du Collectif.
Je voulais surtout savoir si les tensions et les actes racistes avaient cessé en Tunisie après la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) qui s’était déroulée en début d’année. Si les actes étaient moins violents, les scènes de racisme ordinaire perdurent en Tunisie, et je fus surpris d’apprendre que l’histoire du peuple noir n’était pas, ou que partiellement enseignée à l’école.
Durant l’atelier, une sœur tunisienne, Amina, m’a expliqué sa souffrance d’une telle manière que je pouvais imaginer les scènes dans ma tête, et en fus bouleversé. Je lui ai promis de ne pas couper contact avec elle après mon retour en France.
Une militante philippine comme modèle…
Ma dernière rencontre marquante en Tunisie fût celle avec Rosa Trajano, une activiste originaire des Philippines, membre de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Oui, elle se nomme Rosa, comme son homonyme américaine célèbre ! J’ai tout de suite su qu’à l’instar de Rosa Parks, Rosa Trajano avait une vie marquée par la lutte.
Cette femme de petite taille dégage une grande aura, une grande sérénité et fait preuve de beaucoup d’amour malgré le dur combat qu’elle mène, celui du respect des droits de l’Homme aux Philippines. Elle comprenait très bien mes questions et y répondait très clairement. Alors qu’elle devait prendre un avion dans l’après-midi, je lui ai posé des questions brèves et précises.
Quels sont les problèmes rencontrés par les mineurs Philippins ? De quelle manière elle et son organisation luttent-ils face à ces problèmes ?
Je fus très impressionné et admiratif. Ma rencontre avec cette dame me confirma une chose : je sais pertinemment que je suis quelqu’un de solide capable de se battre comme un fou furieux pour ses valeurs et ses principes et contre l’injustice. Néanmoins face à cette dame, je compris qu’il me restait du chemin à parcourir et que j’aimerai si possible pouvoir être comme elle, quelqu’un d’intègre et de respectable. Elle est à ce jour la meilleure personne que j’ai interviewée.
Je suis rentré à Grigny marqué par ces rencontres constructives, qui j’en suis sûr, vont me permettre de devenir quelqu’un de meilleur, de plus fort et grandi. Un jour peut être, moi aussi je pourrais faire part de mon expérience à des personnes qui leur permettront d’évoluer et d’aborder la vie avec plus de moyens, tout comme on l’a fait pour moi…
Crédits photo de une : Andrea Paracchini