EURO 2016. Non-respect de la Marseillaise, déboire avec la justice pour une histoire de sextape, bras d’honneur discutable durant un Euro organisé en France, attitude rebelle, etc. Les polémiques provoquées par des joueurs français issus de l’immigration alimentent les débats sur l’identité nationale. Analyse.
Par Houria Mabrouk.
Dans un temps de crise, la France se replie sur elle-même. Dès lors, elle cherche à définir son identité où tous les symboles français doivent être respectés. Parmi ces derniers, les équipes sportives professionnelles qui représentent la nation doivent être « irréprochables ».
L’équipe nationale de football est un cas particulier. C’est le sport du pauvre. L’équipe de France est le reflet de notre société : diverse et complexe. En ce sens elle porte en elle tous les problèmes d’une société. Propulsés sur un terrain de foot, des jeunes issus des banlieues françaises défavorisées ont pu sortir de leurs difficultés socio-économique, à l’instar de Karim Benzema, Nicolas Anelka ou encore Samir Nasri. Ils portent sur eux les clichés des banlieues françaises et disons-le clairement celui d’immigrés maghrébins ou d’Afrique subsaharienne.
Depuis le passage de Nicolas Sarkozy en 2005 et 2007 au ministère de l’intérieur, puis la montée du front National de Marine Le Pen, les banlieues sont devenues un enjeu électoral où tout est bon pour stigmatiser ses habitants. Même pour ceux qui ont réussi et jouent en équipe de France. Dès lors, le moindre faux pas, vaut à ces derniers d’être conspués, voire méprisés. Ils ne représentent pas bien la France, ils n’ont pas le bon profil.
Prouver sa « françitude »
Diverses polémiques contribuent à les mettre à l’écart. Comme le cas de Karim Benzema. Depuis ces débuts avec les Bleus, le joueur doit prouver sa « françitude ». D’origine algérienne, Karim Benzema est un jeune attaquant très talentueux. Déjà comparé à Zinedine Zidane, les grands clubs européens se l’arrachent. A ses 18 ans il a dû choisir entre jouer pour l’équipe nationale algérienne et l’équipe de France. C’est là que les choses se sont compliquées.
Dans une interview sur RMC, il décrit la difficulté de choisir entre la France et l’Algérie au vu des pressions qu’il subit de part et d’autres de la méditerranée. Il affirme tout de même son attachement à la France et à son équipe nationale. Les propos du joueur sont repris, voire tronqués par l’extrême droite qui veut bannir tout joueur de couleur de l’équipe de France en estimant qu’elle ne reflète pas assez la nation. Les médias qui résument les propos de Benzema ainsi « L’Algérie c’est mon pays, la France c’est pour le côté sportif », provoquent un vif débat sur le choix des jeunes ayant la double nationalité. Si on veut jouer avec l’équipe de France il faut aimer le pays, connaître son histoire, apprécier sa culture. Marion Maréchal Le Pen réplique clairement à propos de Benzema : « Qu’il y retourne dans ce pays! ».
Par la suite, les faits et gestes du joueur seront scrutés. Il fut critiqué, ainsi que d’autres joueurs pour ne pas chanter la Marseillaise. Après les attentats du 13 novembre, il a été reproché à l’attaquant du Real Madrid d’avoir cracher de manière insouciante pendant la Marseillaise. Ses détracteurs les plus virulents décrivent ce geste comme intentionnel et dénoncent son manque de respect, non seulement pour la Marseillaise mais aussi envers l’hommage rendu aux victimes.
Héros national
Paradoxalement, lorsque Benzema marque des buts, comme au moment où il envoi l’équipe de France en coupe du monde en novembre 2013 face à l’Ukraine, il devient un héros national.
Les joueurs de l’équipe de France seraient-ils tous égaux devant la défaite ? Zinedine Zidane a marqué la France en 1998 en lui permettant de remporter la première coupe du monde de son histoire. Mais en 2006, lors de la finale de la coupe du monde, lorsqu’il s’est violemment attaqué à l’Italien Marco Materazzi, il redevient l’Algérien qui ne représente pas assez bien la France.
Olivier Giroud, issu d’un milieu plus aisé s’est aussi retrouvé empêtré dans un scandale sexuel. Ses performances sportives en ont pâties puisque son équipe fut éliminée du fait de cette « mauvaise hygiène de vie ». Il fut très critiqué au Royaume-Uni mais très peu en France. Il n’y a eu aucun de débat de société, aucune polémique autour de cette affaire. L’implication et la motivation d’Olivier Giroud ne sont pas remises en question en équipe nationale.
Interrogé sur le sujet, Jimmy Adjovi, ancien joueur du RC Lens et international béninois, pense qu’il ne s’agit pas d’une question d’origine mais de bon comportement. « Que l’on soit Béninois, Français ou étasunien, il faut donner une bonne image et avoir un bon comportement ». Cependant, il estime « anormal d’avoir à demander à des joueur de répondre plus à ces questions qu’un chanteur ou un homme politique. C’est le devoir de chaque citoyen ».
Mais Karim Benzema se tire une balle dans le pied. Ses récentes déclarations quand à la faiblesse de Didier Deschamps face aux pressions d’une « partie raciste de la France » sont étonnantes. En effet, il a déclaré être frustré de ne pas avoir été sélectionné sur des critères sociaux et non sportifs. Après l’affaire Zahia en 2010, où le joueur s’est retrouvé dans un scandale de prostitution avec une fille mineure, en 2015, Benzema est de nouveau empêtré dans une affaire de chantage sur Mathieu Valbuena, un de ses coéquipiers de l’équipe nationale. Il devait faire le relais entre le joueur et son ami d’enfance qui tentait de l’escroquer en échange d’une sextape enregistré par Valbuena et sa compagne.
La Fédération française a jugé Karim Benzema non-sélectionnable. Il est vrai que l’opinion publique s’est largement montrée exacerbée jusqu’au sommet de l’Etat. Manuel Valls s’est positionné contre la sélection de ce dernier. Le joueur s’en est trouvé frustré. Pourtant, il n’a jamais caché sa joie de jouer avec les Bleus. En novembre 2013, après la qualification de l’équipe pour la coupe 2014 au Brésil, il déclare que ce moment est « son plus beau moment sous le maillot bleu ».
« Les racailles » de l’équipe de France
Le problème n’est-il pas finalement celui du milieu dans lequel ces joueurs ont grandi ?Nicolas Anelka fut également très critiqué pour son comportement dit de « racaille ». La grève « du bus » à Knysna a créé une véritable fracture entre le public français et son équipe de football. En 2010, en pleine coupe du monde en Afrique du Sud, l’équipe entière cesse l’entrainement les principaux leaders : Patrice Evra, Eric Abidal, Nicolas Anelka et Franck Ribéry. Ce dernier, originaire de Boulogne sur Mer, est également catalogué de « racailles » de l’équipe de France, en raison de son comportement.
La banlieue, incivile, impolie, indisciplinée, agressive ; tant détestée par les milieux parisiens affichait son mauvais comportement dans cette équipe qui devait transmettre des valeurs et représenter la France au monde comme un pays fort.
Mais pour Adjovi, il faut faire avec cette composition : « la France est une terre d’immigration. Le pays s’est en parti construit sur ses colonies. Il est normal que la France soit composé d’individus originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Par ailleurs, le fait que des joueurs se montrent dans des clips de raps fait partie de la culture de banlieue au même titre que le graffiti ». C’est pourtant ce qui rebutent une partie de la population qui se sent éloignée de cette culture mais selon le joueur, cette distinction « est une force et c’est ce qui fait la beauté de notre société multiculturelle ».
Daniel Riolo, journaliste sportif et écrivain parle de « racaillisation » de l’équipe de France dans laquelle s’est formée un clan. Le cas de Franck Ribéry et Yohann Gourcuff est éloquent. Le premier a été accusé de harceler le second. Celui-ci rase les murs lorsqu’il croise Ribéry, le caïd de banlieue. Il n’a pas les codes pour intégrer ce clan : ceux qui se promènent avec un casque audio beats, qui se montrent dans des clips de rap. Mais des jeunes dits « bourgeois », comme Yohann Gourcuff, issus d’un autre milieu social sont mis l’écart voire raillés.
Adjovi, précise bien que certains médias mettent en lumière ses joueurs et un pseudo comportement car « c’est ce qui fait vendre. Ils mettent en avant des choses qui n’ont pas lieu d’être et que c’est aux citoyens de prendre du recul. Il ne faut pas tout cacher mettre en avant les belles choses ».
Ce qui ne doit être qu’un sport cristallise tous les débats sociaux et identitaires. De ce fait, un contraste se dessine entre la représentation de l’équipe nationale et l’attitude des joueurs issus de ces banlieues. On lui préfère les équipes de handball ou de natation, plus respectueuses, plus professionnelles, ayant une éthique sportive. L’équipe de natation est aux larmes lorsqu’on entonne la marseillaise alors que les riches joueurs de l’équipe de football ne pensent plus qu’à l’argent…