Al Bawsala (la boussole, en arabe) est une organisation tunisienne née après la Révolution qui vise à contrôler et à informer les citoyens sur les actes du Parlement. Un outil de transparence inédit pour accompagner le processus démocratique. Rencontre avec son directeur Selim Kharrat.
Propos recueillis par Sofien Murat et Melek Metoui (Nawaat)
Pouvez-vous présenter votre organisation ?
Selim Kharrat : El Bawsala est une organisation fondée depuis un an par un groupe de jeunes qui cherchaient à mettre en place une démarche constructive après l’élection. Pour la première fois de l’histoire tunisienne, une assemblée représentative fut élue démocratiquement. On s’est donc intéressé à cette question : comment suivre ce que font les nouveaux députés ? L’objectif est de ne pas perpétuer les mauvaises habitudes du temps de la dictature et pousser les élus à rendre des comptes. Notre travail consiste à diffuser de manière gratuite toutes les informations qui entrent au sein de l’Assemblée. Depuis un an nous avons réussi à publier plus de 300 procès-verbaux et nous suivons également l’assiduité des élus.
Cela consiste-t-il à ‘’fliquer’’ les députés ?
S.K. : Un élu nous a dit en effet : « Nous avons l’impression d’être fliqués ! ». Mais nous ne sommes pas des policiers, on ne punit pas les élus. On informe simplement l’opinion publique sur ce qui se passe au niveau de l’Assemblée. On publie également le détail des votes. Nous avons réussi à en publier plus de soixante, en préservant l’anonymat des députés. On souligne aussi la différence qui peut exister entre le discours et l’acte, quand il s’agit de voter ou de prendre des décisions.
Quels sont les obstacles rencontrés ?
S.K. : Nous sommes conscients qu’on s’attaque à une vraie montagne car pour changer les mentalités, ça prend du temps. Il faut une prise de conscience, et notre stratégie, notre moyen pour changer cette mentalité, c’est le plaidoyer. Le fait d’être en discussion permanente avec les élus, en leur expliquant l’intérêt d’être transparent, les pousse à nous aider, à diffuser des documents. Nous avons été auditionnés par la commission qui s’occupe du règlement intérieur de l’Assemblée. On leur a présenté nos chiffres : sur les derniers mois, les plénières commençaient avec 73 minutes de retard en moyenne et moins de 50% des élus étaient présents. Si cela continue, ils ne pourront donc pas respecter le délai pour la nouvelle Constitution, prévue fin 2013.
Avez-vous reçu des menaces ?
S.K. : Plutôt des réactions hostiles. Le doyen de l’Assemblée nous a attaqués verbalement en séance plénière en prétextant que l’on n’avait rien à faire ici, que l’on n’avait pas le droit d’être ici. Des accusations qu’Al Bawsala réfute catégoriquement. Tout ce que l’on souhaite c’est qu’ils terminent leur travail, le plus rapidement possible, car on est en phase de transition et les enjeux sont très importants. Sans nouvelle Constitution, on ne pourra avoir de nouvelles institutions, un nouveau gouvernement et de nouvelles majorités.
Qui vous finance ?
S.K. : Nous sommes financés par des ONG et des fondations internationales. Le projet d’observatoire est financé par le réseau international Parliament Watch, basé sur le transfert de savoirs et de compétences, par notre partenaire allemand MCT (Media in Corporation and Transition) et le fonds GLS Bank, des institutions américaines Open Society Institute et la National Endowment for Democracy.
N’avez-vous pas peur de tous ces financements étrangers ?
S.K. : Il y a en Tunisie, une absence de cadre législatif pour le financement des organisations nationales. Ça n’est pas dans notre tradition, durant 60 ans de dictature, le parti unique n’a fait que contrôler les sociétés civiles, les associations ou les ONG. Pas question pour nous de l’accepter aujourd’hui. Cela ne garantirait pas notre indépendance. Nous refusons les fonds privés en rapport avec les autorités sous la dictature, car nous n’avons aucune garantie sur leurs fonds propres. Pas de possibilités non plus, comme en France, de faire appel aux dons publics, nous n’avons pas de Paypal ou de système de collectes d’argents.
Quel est l’apport pour le citoyen tunisien ?
S.K. : Pour pouvoir prendre une décision et voter, le citoyen doit être informé. C’est la base de la démocratie. Nous sommes dans une phase historique, nous allons établir une Constitution qui va façonner le pays. Si le citoyen ne s’intéresse pas maintenant à l‘Assemblée, quand le fera-t-il ?
Quel regard portez-vous sur cette transition démocratique ?
S.K. : Comme toute transition, nous avons connu des hauts et des bas. Nous sortons de 60 ans d’omerta et de tabous où il n’y avait absolument pas de dialogues. Les Tunisiens se découvrent, certains apprennent qu’il y a des conservateurs, tandis que d’autres apprennent que les filles veulent sortir et faire la fête et que la moitié du pays est mis à l’écart du développement économique. L’injustice sociale entre les régions est une question urgente à traiter. On a vécu une première année euphorique avec la chute de Ben Ali, les médias se sont libérés. Ensuite, nous avons connu une phase de décroissance, les gens étaient déçus, car les partis politiques ont promis plein de choses, et ont surtout montré une incapacité à résoudre les problèmes.
Existe-t-il d’autres organisations comme la vôtre en dehors de la Tunisie ?
S.K. : Nous faisons partie d’un mouvement mondial qui s’appelle, Opening Parliament. Il regroupe 200 organisations qui exercent une veille législative. Ensemble, on a rédigé une déclaration où l’on définit les grandes lignes d’un Parlement ouvert et les recommandations sur la transparence législative. En France, il existe « Regard Citoyens » mais ils font surtout de l’analyse de données, mais d’autres comme « Questionner vos élus.fr » mettent en place un système de questions réponses entre élus et citoyens français. Nous avons été également sollicités par une association marocaine pour la création d’une organisation semblable à la notre au Maroc.
Pour en savoir plus : www.albawsala.com