D’un côté, les grands bâtiments de la cité des 4000, à La Courneuve. De l’autre, le quartier limitrophe des Cosmonautes, à Saint-Denis. Entre les deux, le tramway. En dessous, l’autoroute. Entre deux rues, sur un terrain entouré de barrières en bois et de palissades, derrière une énorme benne d’ordures, le quartier Rom semble à première vue replié sur lui-même. On y arrive timidement, en disant qu’on connaît Julien… Au début, il y a la gêne. L’impression de déranger, de venir en voyeur, en touriste de la pauvreté.
Julien, c’est l’architecte qui a dessiné les plans de ce quartier pour les 55 familles qui y vivent. Il arrive bientôt et nous explique qu’après des expulsions successives, les familles – qui vivaient en bidonville – ont pu construire des maisons sur un terrain accordé par la mairie. Avec un budget de 300 000 €, essentiellement pour des matériaux de construction – algecos, portes, fenêtres, planches de bois… –, des logements simples mais efficaces s’alignent depuis un an dans les allées. « Cela revient à environ 5 000 € par logement. On est loin de la maison à 100 000 € de Borloo. Tout n’est pas aux normes, c’est de l’expérimentation, mais on s’éloigne peu à peu du bidonville. » Les antennes paraboliques et la musique qui s’échappe d’une maison attestent que le quartier est branché au réseau d’électricité. Pas encore d’eau courante dans les maisons, mais un point d’eau collectif et une dizaine de toilettes sont raccordées au réseau d’égouts. Les familles ont désormais une adresse et paient chaque mois des charges à la ville.
« Voulez-vous épouser ma fille ? »
Et puis, les enfants jouent vite leur rôle. Larissa, trois ans, dans les bras de son père, et Renato, deux mois, qui gesticule dans sa poussette, font vite disparaître la gêne et naître des sourires sur tous les visages. Parler des enfants et de la chaleur écrasante qui s’abat sur la France en ce 23 juillet permet de vite faire connaissance. Après s’être prêté au traditionnel jeu : « Voulez-vous épouser ma fille ? », on découvre une famille chaleureuse, accueillante et ouverte.
Malvina, qui va au collège Jean-Lurçat tout proche et parle couramment français, ne voit pas tellement de différences entre son nouveau quartier et le bidonville qu’elle a quitté l’année dernière. En classe de cinquième, elle reçoit rarement ses amis chez elle et les voit plutôt à l’extérieur. A force de discuter, on se sentait tellement bien qu’on avait presque oublié les conditions de vie dans lesquelles l’adolescente évolue… On n’est pas dans un bidonville, certes, mais l’habitat reste précaire et les pères de famille, citoyens roumains, n’ont pas le droit de travailler, ce qui n’arrange rien.
Nicolaï, 60 ans, tatouages au bras et dents en or, habite en France depuis cinq ans. Pour gagner sa vie, il collecte et revend des métaux. En ce moment, il essaie d’ouvrir un compte postal, mais on lui demande toujours des papiers qu’il n’a pas. Il est encore passé tout à l’heure avec de nouvelles attestations, mais il en manquait encore une…
On ne voit pas le temps passer. Une heure et demie s’est écoulée en quelques minutes. On se demande comment retranscrire sur papier l’atmosphère du quartier qu’on vient de découvrir et qu’on est presque pressé de retrouver… un jour ! Inch’Allah…
Jean-Yves Bourgain