Le 27 octobre prochain, cela fera six ans que deux adolescents de Clichy-sous-Bois (93), Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, sont décédés. Cet accident, qui mettait en cause des policiers, avait provoqué trois semaines de ripostes en banlieue. Le 27 avril dernier, la cour d’appel a statué en faveur des policiers, en allant à l’encontre d’une ordonnance des juges d’instruction qui les renvoyait en correctionnelle. Fatoumata (Stains) a rencontré Jean-Pierre Mignard, l’avocat des familles des victimes. Entretien.
Reporter citoyen. Le non-lieu à l’égard des policiers de Clichy-sous-Bois prouve-t-elle que l’autorité judiciaire est aux ordres ?
J.-P. Mignard. Les juges d’instruction avaient rendu une ordonnance favorable aux victimes en renvoyant les policiers en correctionnelle, mais la cour d’appel a désavoué ces juges. Donc il y a un désaccord entre la première et la deuxième instance.
Le parquet a fait appel de la décision des juges : y voyez-vous une certaine forme d’acharnement ?
J.-P. M. On peut tout imaginer puisque la Constitution française et une loi de mars 2007 placent les magistrats du parquet, c’est-à-dire le ministère public, sous l’autorité directe du Garde des sceaux et de l’exécutif. Or, dans cette affaire, ce sont la procureur de Bobigny et le procureur général de la cour d’appel qui ont bloqué le renvoi devant le tribunal correctionnel : on peut donc considérer que le pouvoir exécutif est totalement impliqué dans cette décision.
Le statut des magistrats du parquet en France fait aujourd’hui l’objet d’une très vive controverse, soulevée notamment par la Cour européenne des droits de l’homme qui considère qu’il ne leur donne pas l’indépendance et l’impartialité nécessaires.
Comment jugez-vous le rôle de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur à l’époque des faits ?
J.-P. M. Nicolas Sarkozy a été complètement impliqué dans cette affaire pour une raison simple, c’est qu’il a immédiatement communiqué sur la foi de ce que les services départementaux de la police de Seine-Saint-Denis lui avaient dit. A savoir qu’il y avait une infraction, et que les enfants n’étaient pas poursuivis. Or cela s’est avéré faux. Et les émeutes sont nées de là. Elles sont nées d’un mensonge policier, d’une crédulité du ministre de l’Intérieur et d’une communication désastreuse alors qu’il aurait fallu être très prudent et demander l’ouverture immédiate d’une information judiciaire, c’est-à-dire la nomination d’un juge d’instruction
Quel a été le rôle des médias dans cette affaire ?
J.-P. M. Ils n’ont fait qu’« enregistrer » la communication publique. Les médias n’ont commencé à se réveiller que le samedi, soit le surlendemain, lorsque j’ai fait les premières déclarations à l’Agence France Presse. Mais certains journalistes, dès le premier jour, considéraient qu’il y avait des incohérences. Et ce sont d’ailleurs certains d’entre eux qui ont conseillé aux jeunes de me prendre comme avocat. Par exemple, France 3 et Le Parisien ont joué un rôle important dans le déminage de l’information judiciaire.
Pourquoi avons-nous rarement entendu parler du fait que le drame s’inscrivait en plein ramadan ?
J.-P. M. J’ai toujours dit effectivement que la raison pour laquelle les enfants (je les appelle ainsi car, dans leurs communications, les policiers les appellent des enfants) avaient fui, c’est parce qu’on était à proximité de l’heure de la coupure du ramadan et qu’être interpellé, être emmené au commissariat, cela signifiait que leurs pères devaient venir les chercher. C’était une soirée de ramadan gâchée ! A mon avis ils étaient terrorisés par la réaction des parents, et c’est pour ça qu’ils ont fui.
Et l’attitude des policiers qui les poursuivaient ?
Elle prouve surtout que l’organisation de la sécurité publique est inadmissible. Quand on pense qu’il n’y avait pas de commissariat à Clichy-sous-Bois, c’est invraisemblable ! Ce qui veut dire que les policiers ne les connaissaient pas. Des policiers en poste à Clichy auraient pu les reconnaître et dire : « Il y a un tel et un tel, il n’est pas nécessaire de les poursuivre, on sait très bien où les retrouver ». Mais là ce n’est pas le cas, et c’est ridicule : on a des gamins qui courent sans savoir pourquoi, devant des policiers qui leur courent après sans savoir pourquoi non plus !
Les policiers ont été appelés car quelqu’un a dit qu’il y avait des gosses sur un chantier. Des gosses sur un chantier, ça ne veut pas dire qu’il y a une infraction. Ca peut même dire attention, c’est dangereux pour eux. Arrivés sur le chantier, les policiers n’ont constaté aucune infraction, ni aucune tentative d’infraction. Il n’y a que le Procureur de la république qui le dira très vite et c’est la seule chose dont je lui suis reconnaissant.
J’ai eu il y a quelques mois une discussion en privé avec Rachida Dati, ancienne Garde des sceaux, et elle a reconnu : « Vous aviez raison, il fallait tenir bon ». Nous avons eu raison de tenir bon !
La défense a tenté de poursuivre Muhittin, le rescapé, car elle estimait qu’il avait incité les deux victimes à pénétrer sur le site EDF : comment expliquer un tel acharnement ?
J.-P. M. Il y a eu une opération de destruction psychologique par rapport au fait qu’il ait parlé, qu’il soit venu sur le site pour dire ce qui s’était passé. Cet acharnement est comparable à de la méchanceté, tout simplement. Il va même continuer à être contrôlé par les policiers de la BAC bien après l’affaire alors qu’il ne sait même pas, lui, que ce sont les mêmes policiers qui les ont poursuivis et qui continuent à le contrôler. Il va le découvrir le jour de la reconstitution et piquer un excès de colère terrible. Donc aucun repentir pour certains policiers, aucun !
D’ailleurs, aujourd’hui, Muhittin va très mal. Il n’a eu aucun suivi psychologique. Il a été suivi pour la première fois, il y a environ six mois.
On associe à Zied et Bouna le slogan « morts pour rien », qu’en pensez-vous ?
J.-P. M. Je traduis « morts pour rien » par « mort absurde ». Cela signifie qu’ils sont décédés sans aucune raison, sans infraction, puisque les policiers n’avaient rien à leur reprocher.
Dans cette affaire, vous avez défendu des victimes auxquelles certains de vos confrères n’auraient même pas prêté attention. Pourquoi ?
J.-P. M. C’est un grand dossier, je considère que c’est un très grand dossier.
Avez-vous un conseil à donner aux jeunes, particulièrement ceux des quartiers sensibles ?
J.-P. M. Dans ce genre de situation, l’émeute ne sert à rien. Manifester ? Pourquoi pas, c’est un droit, mais l’émeute est inutile et provoque des blessés et des casses. Dans l’affaire de Villiers-le-Bel, il y a également eu des émeutes. Il faut, dans ce genre de situation, demander immédiatement la nomination d’un juge d’instruction, car la violence n’a jamais fait avancer personne. A mon sens, les jeunes devraient trouver une forme de manifestation plus spectaculaire, inspirée du gandhisme.
Propos recueillis par Fatoumata Diallo