La lutte contre racisme envers les Noirs tunisiens n’a pas trouvé d’écho dans la nouvelle Tunisie. Le constat est affligeant et le déni flagrant tant au sein de la société tunisienne que dans la sphère politique. Saadiah Mosbah, militante de la cause, propose à tous les citoyens de faire face et d’assumer cet héritage.

Par Haya Diakité-Touré.

« La Tunisie dont je rêve… C’est une Tunisie dans toutes ses couleurs, toutes ses formes toutes ses religions », lance comme un cri du cœur Saadiah Mosbah militante pour la cause des Noirs en Tunisie.

Au lendemain de la révolution tunisienne en 2011, la question raciale peine à trouver sa place dans le débat post Ben Ali. « La chute du mur du silence », comme l’appelle Saadiah, aurait dû être l’occasion d’ouvrir le dialogue national sur le racisme et la discrimination en Tunisie.

Même s’il est vrai qu’en abolissant l’esclavage en 1846, la Tunisie fut un précurseur dans le monde arabo-musulman, il n’en demeure pas moins qu’au niveau législatif et juridique un vide subsiste ; aucune loi aujourd’hui ne pénalise les actes racistes. On estime le nombre de Noirs à 15 % de la population en Tunisie.

« Comment voulez vous porter plainte, lorsqu’on vous dit qu’il n y a pas de racisme en Tunisie ? Lorsque que le policier qui vous reçoit au commissariat vous traite de fou ! », déplore-t-elle. Dans ce contexte de réforme de la société civile, Saadiah et ses « congénères », comme elle les nomme, ont créé ADAM, une association qui vise à sensibiliser les Tunisiens et les politiques sur la souffrance des victimes de racisme liées à la couleur de leur peau. Violences verbales, agressions physiques, discriminations… les attaques quotidiennes sont banalisées.

Bousculer les mentalités

Très émue, Saadiah se souvient que « lors d’une manifestation au centre ville de Tunis, à la vue d’une pancarte sur laquelle elle avait écrit OUSSIF (nègre en arabe), PLUS JAMAIS CE NOM, un jeune garçon de café, Noir, a enlevé son tablier en courant dans mes bras en pleurant…». « Je lui ai dit que c’était fini, on ne t’appellera plus comme cela», termine-t-elle.

Pour cette femme hôtesse de l’air aux idées bien terre à terre, le changement passe d’abord par une féroce volonté d’oser bousculer les mentalités : « Dans les années 80 j’ai postulé pour un être hôtesse de l’air, soupire-t-elle. On m’a dit Saadiah tu es folle, n’y va pas, ils ne te prendront jamais. J’y suis allée et cela fait 34 ans que je travaille dans cette compagnie aérienne». Consciente que vouloir ne suffit pas toujours pour pouvoir, elle précise tout de même qu’il « n’y a pas eu d’autres Noirs après moi…»

Pragmatique, charismatique et fédératrice, Saadiah est sur tous les fronts au Forum Social Mondial : manifestation, débats, interviews. Invitée à la tribune de l’Assemblée des femmes à l’ouverture du forum, elle a rappelé l’importance d’inclure ce combat dans la reconstruction de la société tunisienne.

Force est de constater que le FSM est une des rares occasions dans le pays pour aborder cette lutte. Malgré la gravité du sujet, cette militante d’une petite cinquantaine d’années affiche une légèreté déconcertante, ponctuant chaque phrase par un sourire.

Une histoire méconnue

Le traitement des Noirs en Tunisie est étroitement lié à une méconnaissance de l’histoire de leur présence dans le pays. Descendants d’esclaves, migrants ou natifs, c’est la question qu’Inés Mrat, historienne tunisienne, traite dans sa thèse Identités multiples et multitudes d’histoires : les « Noirs Tunisiens » de 1846 à aujourd’hui.

«C’est à tous les Tunisiens, Noirs et Blancs de s’unir et d’avancer ensemble autour de ce combat pour l’égalité.», ajoute-t-elle. C’est peut-être le début de l’écriture d’une histoire commune. «Ce combat est une course de témoin ; j’espère que celui qui le recevra, le recevra bien et que les nouvelles générations poursuivrons la lutte. Il y en a encore au moins pour une dizaine d’années avant d’inscrire quelques choses sur la Constitution. »

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