L’Esperanto, langue universelle, va fêter le 20 juillet 2015 son centième congrès. Présent dans 120 pays et promu par plusieurs associations internationales telles que l’UNESCO, il ne parvient toujours pas à se faire reconnaître par le Parlement européen. Rencontre avec « Gaby », 95 ans et espérantiste
depuis bientôt 80 ans.
Par Atouma Diarra.
Qu’est-ce que l’esperanto ?
L’esperanto est une langue universelle qui permet à tout le monde de communiquer. Ses racines sont latine, germanique et slave. Elle porte en son sein l’espoir d’un monde de paix. Sa première appellation était d’ailleurs « doktoro esperanto», soit le docteur qui espère.
Dans quel contexte est-il né ?
L’esperanto est né des interrogations d’un petit garçon polonais de 10 ans Ludwik Lejzer Zamenhof. Il se demandait comment réunir les 4 ethnies qui se faisait la guerre. Il y avait des juifs, des allemands, des polonais et des Yiddish. En 1887, âgé de vingt huit ans, il présente dans un ouvrage la nouvelle langue qu’il a inventé. Au départ, elle est surtout utilisé dans des pièces de théâtre et à l’écrit. Au fur et a mesure la langue se diffuse mais les membres sont éparpillés et il est difficile d’avoir des règles fixes pour tout le monde. C’est ce qui donnera lieu au premier congrès de 1905, présidé par Ludwik Lejzer Zamenhof. Il y avait déjà presque 700 personnes!
Depuis quand le pratiquez vous ?
J’ai commencé à apprendre l’esperanto en 1936. C’était pendant la guerre d’Espagne, à cette
époque un grand nombre de réfugiés arrivait en France. Du haut de mes seize printemps, je me demandais comment nous allions pouvoir nous comprendre. Un jour je suis tombée sur une affiche
qui parlait de l’esperanto. L’idée m’a tout de suite plu.
Pourquoi avoir appris cette langue? L’anglais permet déjà de communiquer au-delà des frontières, non ?
Non ! L’anglais est une langue commerciale et économique, elle s’impose à tous les États. Au
contraire, l’esperanto lui, est délié de cet aspect. Le but est d’échanger et de partager sa culture. La démarche aussi se distingue. Quand on apprend une langue on fait l’effort d’aller vers une culture mais il n’y a pas forcément de réciprocité. Avec l’espéranto, chacun fait un pas vers l’autre, pour s’enrichir mutuellement.
Alors comment expliquez vous qu’il ne parvienne pas à se diffuser ?
Le problème n’est pas que l’esperanto ne parvient pas à se diffuser. Il y a des espérantistes
partout dans le monde, du Népal jusqu’au Brésil! Si vous saviez le nombre de correspondants que
j’ai eu dans le passé! Nous sommes présent et plus nombreux que ce que vous pensez ! Il y a énormément d’échanges inter-culturels et nous allons souvent à la rencontres des espérantistes du monde entier. Le problème vient des États. Ils ne veulent pas le promouvoir parce qu’il n’est pas commercial. Il faut nous laisser du temps. C’est une langue jeune, elle n’a qu’un siècle. Nous avons une littérature espérantiste et de nombreux auteurs sont traduits en espéranto tel que Jules Vernes. Je participe d’ailleurs à la traduction de Tintin au Tibet. C’est un combat difficile qui est notamment mené au parlement européen. Certains parlementaires demandent sa reconnaissance comme langue minoritaire. Autant de questions et de problématiques que nous aborderons lors de notre centième congrès à Lille le vingt juillet.
Et que répondez vous à ceux qui arguent que l’esperanto mène au conformisme ?
Je ne crois pas du tout, non. L’esperanto n’a pas l’ambition d’imposer une langue unique. Au contraire, sa seule prétention est d’être une seconde langue. Ainsi, chacun peut sortir de sa culture pour partager celle des autres mais aussi la sienne. Il n’y a pas d’échanges si deux parties n’en font pas la démarche.
Vous vivez à Saint-Quay-Perros dans les Côtesd’Armor. Le débat concernant la reconnaissance de la langue bretonne ne vous fait elle pas de l’ombre ?
Absolument pas! Vous savez de nombreux espérantistes sont aussi des « bretonnistes ». Notre combat n’est pas opposé, au contraire! C’est une lutte commune qui nous rassemble. Beaucoup de bretons n’ont pas appris leur langue dans leur environnement familiale. Ils ont du l’appréhender. Ils comprennent donc bien cette problématique du partage de la culture à travers la langue. Au niveau local, l’implantation se fait lente mais durable. Une ancienne de mes élèves est aujourd’hui la professeur qui donne les cours d’esperanto au centre Savidan de Lannion. Il n’y a aucune barrière pour apprendre l’esperanto. C’est la seule langue à ma connaissance dont tous les cours sont dispensés gratuitement. Il peut aussi bien être appris sur internet que dans une salle de classe. Ainsi, il est difficile de quantifier notre implantation.
Quel est votre regard en tant que citoyenne du monde sur l’affaire Charlie Hebdo ?
L’actualité rend notre combat pour donner un statut officiel à l’espéranto d’autant plus crucial. L’esperanto est un moyen d’empêcher le repli sur soi. C’est plus que nécessaire dans la période actuelle. La tolérance est à remettre au centre des préoccupations et il faut faire attention à comment on la définit. Ce n’est pas seulement accepter l’autre tel qu’il est, c’est aussi le respecter et reconnaitre que sa culture est source de richesse. De même la laïcité n’est pas l’abnégation du culte religieux, c’est respecter les croyances de chacun. Vous savez, lors de nos rencontres, il n’y a pas des musulmans, des chrétiens ou je ne sais quoi, il y a des hommes.