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A vingt-neuf ans, Louisa Yousfi est journaliste pour un magazine et animatrice de l’émission politique « Paroles d’honneur ». Elle nous raconte son parcours politique, profondément influencé par l’histoire de sa famille et son statut de jeune Française d’origine algérienne dans l’Hexagone.

Par Shehrazad Siraj

« Paroles d’honneur », une alternative aux médias mainstream

Le dimanche 1er octobre, la saison 2 de l’émission « Paroles d’honneur » était lancée. C’est une émission de débat politique, diffusée sur Youtube, au moins une fois par mois. Le rappeur Issaba, le groupe de danseurs hip-hop 1er avertissement et le DJ Tijo Aimé étaient présents durant cette soirée de présentation du programme de l’année. Rania Talala, cuisinière et militante franco-palestinienne, faisait aussi partie des invités et elle en a profité pour inciter le public, tous horizons confondus, à soutenir l’émission « que nous soyons noir, arabe, asiatique, musulman, non-musulman, LGBT, bref, tous ceux qui sont mis de côté et qui veulent parler librement ». Une déclaration qui a fait le bonheur de Louisa Yousfi, présentatrice de l’émission, qui défend ce projet avec beaucoup de détermination.

Paroles d’honneur est « un projet ouvert, un média indépendant et décolonial, contre le racisme d’Etat », déclare la militante. L’émission a été lancée en février 2017. La ligne éditoriale est clairement présentée : «Paroles d’honneur est une nouvelle émission de débat politique avec un objectif inédit : faire contrepoint, porter un regard neuf et décalé sur l’actualité politique en faisant entendre la voix des quartiers populaires et de l’immigration post-coloniale », peut-on lire sur leur site. Les locaux se situent d’ailleurs à la Colonie. «Tout à la fois repère et refuge, La Colonie est un espace à l’identité bigarrée : c’est un bar et une agora ; c’est un laboratoire et une salle de concert ; c’est un lieu de paroles, d’écoutes, de partages, d’expérimentations et démonstrations », peut-on lire sur la page facebook de ce lieu.

« Zone de contact et de friction »

En parlant de son émission Louisa Yousfi insiste : « C’est une zone de contact et de friction, nous ne voulons pas d’entre-soi ». Kery James, grande figure du rap conscient en France, a participé au lancement de Paroles d’honneur, en finançant une partie des premières émissions. « C’est l’un des rares artistes à la fois célèbres et radicaux politiquement », estime-t-elle. L’objectif est de montrer des « luttes qu’on ne voit jamais », à l’instar de celles contre l’islamophobie, la négrophobie, la Françafrique et pour la Palestine… «L’idéal est de confronter nos adversaires politiques, même les plus déclarés », explique l’animatrice. « On a tous connu des contradicteurs nous défendant contre des fachos, mais en fait, on avait juste envie de leur dire : c’est gentil mais c’est pas encore ça, tu ne sais pas nous défendre », considère Louisa Yousfi. La journaliste estime que pour éviter cela, il est nécessaire de donner la parole aux premiers concernés.

Elle parle aussi de l’éclectisme de Paroles d’honneur et elle est tout particulièrement fière de l’émission « Mélenchon est-il notre pote ? », mais également d’avoir pu inviter des philosophes tels que Norman Ajari ou Tristan Garcia, débattant sur la « dignité en politique ». « Je suis ravie que notre émission prouve que nous sommes également capables de produire des débats d’une telle hauteur intellectuelle », explique la journaliste. « On a assisté à un vrai débat franc ! », se réjouit-elle. Elle considère qu’il est crucial d’investir tous les terrains et de ne pas négliger le volet philosophique et la polémique intellectuelle.

Les manifestations pour Gaza comme point déclencheur de son combat antiracisme

C’est en 2014, alors qu’elle a 25 ans, que Louisa dit avoir vécu ce qu’elle appelle un «basculement politique». Si quelques années plus tôt ; elle a découvert l’antiracisme politique, elle ne s’était pas impliquée dans un combat. C’est l’offensive israélienne sur la bande de Gaza qui va avoir un fort impact sur elle et la pousser à s’engager.

La jeune femme se rappelle des manifestations de soutien aux Palestiniens, dans le quartier de Barbès, dans le XVIIIème arrondissement de Paris. Elle confie, émue, y avoir vu « tout ce peuple, toute cette foule… ça m’avait coupé le souffle ». Pour la première fois de sa vie, elle se rend compte qu’un mouvement « indigène », un mouvement qui se définit comme antiraciste et anticolonialiste, existe. Une expérience loin de ce qu’elle a vécu jusque là.

C’est à cette période qu’elle découvre le Parti des Indigènes de la République (PIR), par le biais du texte de Youssef Boussoumah et de Houria Bouteldja, qui dresse le bilan des manifestations. Dans ce texte les auteurs affirment que « tout descendant de colonisé a de quoi se sentir humilié » par la collaboration de l’État français avec l’État israélien. Louisa dit avoir alors pu mettre des mots sur les émotions ressenties durant cet été 2014 : en tant que Franco-Algérienne, elle estime son sort lié à celui des Palestiniens. C’est ce sentiment qui l’a poussée à devenir une militante active du PIR.

De la difficulté d’être musulman en France

Louisa raconte avoir toujours été une bonne élève. Originaire du sud-est de la France, elle intègre une classe préparatoire littéraire à Lille, puis des études de philosophie à Nice, avant d’accéder à une école de journalisme à Bordeaux. La distance la sépare de sa famille, qu’elle ne retrouve que deux fois par an.

Entre le souvenir d’une institutrice affirmant que «les Algériens avaient renvoyé les Français dans des cercueils» et l’ambiance de son école de journalisme où elle raconte n’avoir eu qu’une amie, car elle ne supportait pas «les blagues lourdes et l’ambiance», Louisa Yousfi raconte une vie marquée par le racisme ordinaire. Mais à l’époque elle suit le conseil de ses parents ouvriers, malgré sa vive aversion pour le racisme : « Pense à tes études, après tu pourras faire de la politique, si tu veux ». L’ascension sociale leur importait beaucoup.
Alors qu’elle intègre la faculté Louisa Yousfi se rappelle d’un conseil de sa mère, qu’elle n’avait pas compris à l’époque : « N’oublie jamais que nous sommes musulmans ». Sa foi était évidente pour elle. Sans être véritablement politisée à cette époque, elle affirme qu’en grandissant, elle prenait conscience du fait « qu’absolument tout dans ce pays vous pousse à lâcher l’islam ». Cet entre-deux fait dire à Louisa Yousfi qu’elle « fait partie d’une génération ». Elle, l’enfant d’immigrés algériens et musulmans, jeune fille ayant grandi en France dans les années 1990.

Taire son identité

Pendant ses études universitaires la jeune femme raconte avoir dû ruser avec son identité, face aux idées portées par certains de ses amis de gauche. Elle considère cependant qu’elle ne serait pas celle qu’elle est aujourd’hui si elle n’avait pas côtoyé ces milieux, tout au long de ses études, ayant contribué à sa formation politique et si elle n’avait pas été victime et témoin du racisme ordinaire. Ces expériences l’ont amenée à avoir un regard critique sur « l’antiracisme moral du PS et de SOS Racisme, très biaisé », prônant « une attitude intégrationniste » empêchant les musulmans d’être ce qu’ils sont « réellement » estime-t-elle.

« Le prix à payer pour les enfants de l’immigration souhaitant réussir, c’est de nier une partie d’eux-même », dont la religion, selon Louisa. Elle considère que les parents immigrés assistent impuissants à cette mise en sourdine d’une part de l’identité de leurs enfants. Mais ils sauraient, au fond, que c’est le seul moyen de s’en sortir dans ce pays. « C’est triste, mais ils savent qu’on doit s’éloigner d’eux en quelque sorte », déclare la jeune femme.

Refuser catégoriquement le racisme

Ce sentiment, la jeune femme l’a ressenti lors des manifestations pour Gaza, qu’elle a perçu comme une rupture au « continuum colonial ». Alors que certains parents immigrés veillaient à rester discrets, ne se sentant pas appartenir corps traditionnel de la nation, les enfants français de parents immigrés, eux, refuseraient catégoriquement le racisme qu’ils subissent, explique la jeune femme. Ainsi, continue-t-elle, les manifestations de Gaza ont cristallisé cette force.

Son militantisme va dans le sens de cette force. Il vise à rendre le racisme moins ordinaire, afin qu’il soit véritablement condamné, à la fois « dans les esprits et dans les structures », mais également à en parler sans tabou, dans « notre République où, considère Louisa, la distinction entre les individus est tue, bien qu’elle persiste, dans les faits ».

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