La réalisatrice Amandine Gay se définit comme une afro-féministe. Le 29 juin 2017, elle a reçu le Out d’or de la création artistique remis par l’Association des journalistes LGBT (AJL) pour son documentaire Ouvrir la Voix . A travers lui, elle veut redonner la parole aux femmes noires, quels que soient leur origine, leur milieu social, leurs croyances ou leur orientation sexuelle.

Par Shehrazad

Diplômée de Sciences Po Lyon et du Conservatoire d’art dramatique du XVIème arrondissement de Paris, Amandine Gay est une féministe convaincue, qui se définit comme pansexuelle, c’est-à-dire qu’elle est attirée par des personnes quels que soient leur sexe ou leur genre. Adoptée par une famille blanche, elle a longtemps côtoyé des environnements majoritairement blancs. La réalisatrice a ainsi dû faire face à de nombreux préjugés concernant les femmes noires.

« Je ne voulais pas être cette fille noire qui danse et qui chante »

Elle hésite longuement à se lancer dans la comédie, car elle considère que la femme noire dansant et chantant est un cliché. Mais, dans les faits, on ne lui propose que des rôles « misérabilistes », touchant à la prostitution, la prison, l’immigration ou les banlieues difficiles… Suite à cette désillusion, la comédienne tente de réaliser une série dans laquelle l’un des personnages principaux est une lesbienne noire. On lui affirme alors que ce personnage, qui pourtant lui ressemble, ne peut pas exister en France, un pays qui n’est pas aussi « farfelu » que les Etats-Unis. C’est la goutte qui fait déborder le vase.  Cet épisode l’inspire pour Ouvrir la voix, un documentaire visant à mettre un terme aux clichés sur les Afro-descendantes.

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Ce film expose les parcours de vingt-quatre femmes. Leur seul point commun ? Être noire. Certaines sont des amies ou collègues d’Amandine, d’autres des inconnues ayant répondu à un appel lancé sur les réseaux sociaux. Malgré cette grande diversité, le constat est flagrant : leurs anecdotes personnelles, du jour où « elles découvrent qu’elles sont noires » au jour où elles décident de continuer de vivre ou non en France, résonnent comme un discours commun.

« Moi je ne t’appelle pas white, donc ne m’appelle pas black », lance l’une d’entre elles.

Elles sont nombreuses à s’interroger sur le malaise que suscite le mot « noir », tabou pour certains, en France. Le mot « black » (« noir » en anglais) est souvent préféré. « [On] place le racisme là où il n’y en a pas », considère une autre témoin, qui trouve paradoxal que la langue française, réputée pour sa richesse et sa précision, ne sache pas définir correctement sa couleur de peau.

Cet excès de « politesse » n’empêche pas certains de demander aux personnes noires de prendre l’« accent africain », notamment pour des rôles. « Un mythe », dénonce une comédienne, puisqu’il existe en Afrique une diversité ethnique et des accents complètement différents. Ce serait comme demander de faire l’accent « européen », en confondant l’italien et l’allemand.

Les Noirs peuvent aussi être considérés comme des « bountys », du nom de la barre chocolatée : noir à l’extérieur, blanc à l’intérieur. C’est ce qui est arrivé à une étudiante, qu’on accusait d’avoir des « goûts et comportements de Blancs », comme la lecture ou l’écoute du rock. Les loisirs intellectuels et culturels seraient ainsi uniquement destinés aux Blancs. C’est la raison pour laquelle une personne noire qui réussit est considérée comme un « Noir d’exception ».

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Dans le même ordre d’idée, et bien que le contraire ait été prouvé, les Afro-descendants seraient mauvais à l’école et ne pourraient pas accéder à la réussite scolaire, notamment aux études supérieures considérées comme prestigieuses. Ce cliché est encore très présent, notamment à l’école. Une jeune diplômée en école de commerce se souvient des obstacles que lui ont mis les conseillers d’orientation. Troisième de sa classe au lycée, elle souhaitait intégrer une classe prépa. Mais alors que sa camarade blanche, dixième de la classe, fut encouragée à postuler à cette prépa, on lui proposa, à elle, des BTS et des DUT. Elle s’est obstinée et a finalement été acceptée dans la classe préparatoire qu’elle voulait.

Ce racisme peut également se combiner à une misogynie particulière, ne touchant que les femmes « racisées ». Dans Ouvrir la voix, elles sont nombreuses à affirmer :

« Il y a cette conscience chez les Noirs de dire que la femme la plus claire est la femme la plus belle ».

S’éclaircir la peau est banalisé, dès le plus jeune âge. Pour se sentir belle, il faut paraître la moins noire possible, ce qui concerne également la chevelure, pas assez lisse, comme celle de la « seule beauté qui est représentée », la « beauté blanche ».

Découvrant dans leur jeunesse qu’elles seraient « noires à vie », elles sont nombreuses à avoir pensé qu’être une femme noire était une malédiction. L’insulte « niafou » vient renforcer ce mal-être profond. « Insulte de Noir, créée par des Noirs », selon une étudiante, et visant une fille, jamais un garçon, « physiquement fausse, portant des tissages et un maquillage à outrance ». Une jeune femme affirme que cette insulte fait particulièrement mal, parce qu’elle est vécue comme une « trahison ». Les « niafous » ne conviennent ni au monde blanc, ni à celui noir.

Enfin, dès l’âge de quatorze ans, elles subissent des commentaires lubriques, comme « les Noires sont trop chaudes ». Cela peut être profondément gênant, selon la réalisatrice, puisque, à la honte qu’ils suscitent, s’ajoute une difficulté pour les adolescentes à se construire au-delà des préjugés sur leur vie sexuelle. Ces stéréotypes touchent aussi les Arabo-berbères, à l’air « mystérieux » mais « dévergondées » et les Asiatiques « soumises », avec « lesquelles on peut faire ce que l’on veut ». Ouvrir la voix nous fait prendre conscience d’une misogynie raciste toujours présente dans l’imaginaire collectif.

Amandine_en_Pied_Photographer_christin_bela_of_Cflgroup_PhotographyAmandine Gay a réalisé ce documentaire pour témoigner sa solidarité aux femmes noires et leur montrer qu’elles ne sont pas seules à vivre ces discriminations. Ouvrir la voix offre une tribune aux femmes noires, auxquelles on confisque très souvent la parole, et permet de prendre conscience de certaines réalités. Ce documentaire illustre parfaitement l’ignorance et l’intolérance de certains, quels que soit leur couleur de peau ou leur sexe, d’ailleurs, et leurs conséquences considérables sur la vie d’une part de l’humanité.

@ christin_bela_of_Cflgroup_Photography

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