Au métro Strasbourg-Saint-Denis, les Parisiens grouillent, les communautés sont variées et, parmi tous ces gens, beaucoup d’Africains. Aujourd’hui nous sommes le 5 mars, et la France intervient militairement en Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens étant très présents à cet endroit de la capitale, Ayann (Boulogne-Billancourt) a voulu savoir ce qu’ils pensent de cette intervention et de la situation dans leur pays. Il ne sera pas difficile d’en rencontrer : beaucoup restent postés au coin d’une rue afin de persuader les passantes de choisir leur salon de coiffure pour une manucure… à un prix défiant soi-disant toute concurrence.

Je rencontre Malike, assis sur une rambarde avec deux amis, et le débat prend vite. « Pour moi, la situation est dramatique et l’intervention de la France, normale. On ne peut pas rester assis et regarder les gens se faire tuer sans rien faire. » Il explique qu’il était pour Konan Bédié, président juste avant Laurent Gbagbo, mais que Ouattara et lui ont fait une coalition, alors à présent il le soutient. Il comprend que Ouattara, qui était le président de la paix, ait fini par utiliser les armes. « Si en plusieurs mois de discussion, on n’arrive pas à se mettre d’accord, alors c’est la seule solution. Gbagbo a fait des choses bien, et d’autres moins. Moi, j’ai plus d’espoir avec Ouattara ».

Malike porte un casque par dessus sa casquette et sur ses oreilles. Il s’interrompt et informe ses amis Willy et Diaby que le chef d’état-major Philippe Mangou demande le cessez-le-feu sur RFI. « Mais oui, il a raison ! », s’exclament-ils.

Willy est togolais, mais a l’air d’en savoir beaucoup sur la situation ivoirienne. « Je suis pour Gbagbo, mais ce qui se passe est décevant, et les gens meurent. Le pays va devoir se reconstruire, surtout économiquement. Si les deux parties aimaient leur pays, cela n’arriverait pas. » Pour lui, Laurent Gbagbo avait ses raisons de rester :  il avait demandé à recompter et on le lui a refusé. « Maintenant, il ne faut pas que les gens fassent semblant, ce sont les internationaux qui ont organisé ces élections, alors forcément ils allaient intervenir si ça ne se terminait pas comme ils le souhaitaient. Alassane Ouattara est le président des Occidentaux. Les Français ont un intérêt en Côte d’Ivoire : si Gbagbo avait eu le pouvoir, ils n’y auraient trouvé que très peu d’avantages. »

Diaby et Malike élèvent alors la voix. Willy parle de recomptage, de trucage des votes. Mais eux ont une version toute autre. Diaby n’a pas réussi à voter, il n’a jamais eu sa carte. Quand à Malike, on  a empêché certains de ses proches en Côte d’Ivoire d’aller voter. « L’ambassadeur ivoirien en France a gardé les cartes d’électeurs qui avaient des noms à consonance du Nord. Puis, il a envoyé d’autres personnes qu’il avait payées pour voter en faveur de Gbagbo avec ces cartes. En France, ils se sont aperçu de la supercherie, c’est pour ça que la préfecture de Créteil n’a jamais ouvert. » Il est vrai que le jour du vote, pour les ivoiriens d’île-de-France, ne fût qu’attente et que les portes de la préfecture ne se sont jamais ouvertes.

Tous insistent sur la situation sanitaire en Côte d’Ivoire : plus de médicaments, des coupures d’eau, le manque de vivres… Tous ont dans leur famille restée au pays un proche mort du diabète, d’un manque de soins ou de dialyse. « Il n’y a plus rien là-bas. Franchement, l’embargo sur les médicaments, est-ce normal ? Pensons à la population. Gbagbo s’en fout, et les Blancs ne sont pas prêts pour nous», insiste Diaby. Actuellement, les gens sont armés et la situation empêche les humanitaires d’agir. « Tant que les dirigeants n’accepteront pas eux-mêmes la démocratie, rien ne fonctionnera », conclut Malik.

Je les quitte pour rencontrer d’autres Ivoiriens ayant une opinion différente. Il me font savoir qu’à la sortie du métro, la plupart sont pour Ouattara, puis un autre homme vient leur serrer la main. « Lui, il connaît un pro-Gbagbo : suis-le, il va t’emmener le voir ». L’homme me demande de rester devant le Monoprix en attendant d’aller chercher son ami. Quelques minutes plus tard, il remonte accompagné. L’homme qui le suit monte, l’air perplexe, les escaliers de la bouche de métro. Arrivé en face de moi, il comprend que je fais un reportage et que je veux le témoignage d’un pro-Gbagbo. « Mais qu’est-ce que je vais dire, moi ? » Et le voilà qui part en courant ! Celui qui m’a gentiment aidé à le trouver m’explique alors : « Tu sais, depuis ce matin, il est bizarre, il ne parle pas, il est stressé à cause de ça. Mais si tu vas vers le métro Château d’eau, tu en trouveras plein qui sont pour Gbagbo ».

Je rencontre alors Coulibaly. « Bonjour, c’est pour coiffer ? »  Je lui réponds que je veux parler politique. Coulibaly a deux immeubles à Abidjan et il se demande s’ils sont toujours debout. « J’aimerais pouvoir vivre au pays avec ma famille, mais mes enfants ont besoin d’une démocratie. » Pour lui aussi, l’intervention de la France est légitime. Selon la résolution de l’Onu de 1975, la France peut intervenir si des armes lourdes sont utilisées contre les populations civiles. Il ne veut d’ailleurs pas entendre parler de néo-colonialisme. « Tout le monde a des intérêts à défendre, pas seulement les Français. Le problème, ce sont les dirigeants qui ne redistribuent pas l’argent des matières premières de leur pays. On aura toujours besoin des Blancs car cent ans nous séparent, mais les dirigeants africains doivent mieux négocier leurs contrats. »

Pour lui, Alassane Ouattara fait peur au camp Gbagbo, car il a été formé en Occident, et ses méthodes de travail sont différentes : « Pas de billet sous la table ». Je lui dis que je cherche quelqu’un contre l’intervention française. « Tu vois le mec là-bas, avec la veste noire devant le salon ? Lui, il est contre ».

Mais alors les Ivoiriens pro-Ouattara ou pro Gbagbo du quartier se connaissent tous ? Pour Diaby, « il n’y a pas de problème ethnique : au pays, on vit tous ensemble comme ici. L’ivoirité n’existe pas. Toutes les ethnies viennent de l’Afrique de l’ouest, elles  sont installées depuis des siècles, mais viennent toutes d’ailleurs ». Coulibaly conforte cette opinion : « Avant, on rigolait de cette situation, maintenant elle nous dépasse. L’obus n’identifie personne ».

Dans les yeux des deux dernières personnes rencontrées, je peux lire de la rage ou de la tristesse. Il sont pour le président sortant et n’ont pas de nouvelles de leurs proches. « Je suis prêt à me venger et, si j’étais sur place, je prendrais les armes. Je suis de l’ethnie bété, mais pas fanatique. Cela dit, j’ai perdu des proches et je suis contre cette intervention. Si Gbagbo est toujours là, c’est parce qu’il y a des milliers de personnes qui le soutiennent », raconte Zahui, d’une petite voix qui trahit son abattement. « Moi, je suis du Nord, mais je suis pour Gbagbo, ajoute Koné. J’aime sa pensée et ce qu’il veut pour l’Afrique. C’est grâce à lui que Ouattara a pu se présenter car, sous Konan Bedié, on le lui avait interdit. Il ne faut pas l’oublier. On a besoin des Blancs, mais eux aussi ont besoin de nous. » Koné m’éclaire aussi sur le fait que la France veut garder son monopole, mais que Gbagbo cherchait à collaborer avec la Russie et la Chine à travers des appels d’offres.

Malgré la situation, tous gardent espoir. Les plus jeunes pensent que la reconstruction du pays amènera du travail, et l’un d’eux commente : « On s’en remet à Dieu. Toutes les bombes du monde sont tombées sur nos têtes, à nous les Africains, mais on est encore là ».

Ayann Koudou

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