A Tanger la vue sur la mer invite au voyage. La ville, qui se trouve à quelques kilomètres seulement de l’Espagne, est un lieu où la migration est visible et le désir de départ plane. Mais qu’en est-il de la jeunesse tangéroise ? A-t-elle envie de partir? Dans le local de l’association Darna, qui vient en aide aux enfants en difficulté, les jeunes expliquent avoir plutôt envie de rester.
« Tanger n’est située qu’à quelques kilomètres de l’Espagne, un autre pays, un autre monde : l’Europe. Une terre proche mais inaccessible, tout comme sa liberté imaginée».
Quand il parle de Tanger et de son panorama, Abdelghani Bouziane, directeur de la troupe de théâtre Darna parle de la mer et de l’envie de départ.
Quelques dizaines de kilomètres seulement entre Tanger et Tarifa. Le nombre paraît insignifiant, mais l’immensité de la mer vient rappeler la réalité. Tant de distance à parcourir. L’Europe reste encore trop loin.
Tanger, la mer et l’invitation au voyage
Le local de l’association Darna est situé sur les pentes de la médina, bien caché entre le souk et le marché aux poissons, non loin du port de pêche et de la mer. L’entrée du local est peu éclairée, mais c’est un grand espace qui donne sur la scène.
Abdelghani a grandi dans un village au-dessus de Tanger, avec, comme vision face à lui : la mer. Il se rappelle que, petit, il passait son temps à la regarder.
«Je regardais toujours ce paysage […] c’est le voyage de l’autre côté, on se demande toujours ce qu’il y a là-bas», raconte-t-il.
Si il a grandi et est très attaché à sa ville, il raconte avoir la chance de voyager régulièrement pour le travail, mais que Tanger est une ville maritime dont le cœur battant est le port, ce qui donne à ses habitants une envie de voyage.
Aller voir de l’autre côté de la mer
Comme dans le film “Ali Zaoua, prince de la rue” de Nabil Ayouch, qui se déroule à Casablanca, le rapport à la mer est très fort pour les habitants de Tanger. Dans le long métrage le personnage principal, Ali Zaoua, rêve de devenir marin pour rejoindre l’île aux trois soleils.
Dans le quotidien des Tangérois l’idée d’un avenir meilleur de l’autre côté de la mer est parfois exacerbée par le retour des expatriés marocains durant la période estivale. Passage de transit historique, Tanger est la première ville témoin des passages constants des Marocains résidants à l’étranger. De plus, les réseaux sociaux montrent de plus en plus le quotidien des Marocains émigrés, avivant ainsi le désir de partir de certains. « L’influence de la société, la modernité, les réseaux sociaux, tout ça parle d’Europe, toujours d’Europe », explique Abelghani Bouziane de Darna.
L’association Darna et les enfants
Darna, association qui vient en aide aux enfants et femmes en difficulté à Tanger, accompagne beaucoup des enfants des rues et de milieu social défavorisé. L’idée est de leur donner des outils pour qu’ils puissent se construire un avenir à Tanger.
L’association, créée il y a vingt ans, forme cette année 75 enfants de 4 à 18 ans aux différents métiers artistiques, comme le théâtre ou les arts du cirque. Fort de son succès auprès des jeunes, Darna a même monté une troupe professionnelle avec des jeunes. Au départ, il s’agissait seulement d’un centre de loisirs qui avait pour but d’encadrer des jeunes, toutefois, le succès de la formation conduit les enfants à développer des aspirations professionnelles, notamment dans le milieu artistique.
Laabsi, 26 ans, habite la médina et a passé quelques années dans le centre d’accueil de Darna.
Il explique que « l’idée de partir est toujours présente quand je discute avec des gens. Rien que dans mon quartier beaucoup sont partis et certains veulent partir, ils paient pour ça, on les emmène par différents moyens de transport dans les spots de départ. On y est presque poussé par la proximité entre Tanger et l’Espagne… Ils tentent car ils pensent que la culture la-bas est pareille que la nôtre.»
Alors qu’il le sait les attaches familiales et la solidarité ne se retrouvent pas partout de la même façon.
Laabsi lui-même explique avoir voulu migrer, mais avoir été retenu par ses parents. Avec l’association et sa passion pour la peinture, il s’est trouvé les moyens de changer d’optique et reprendre au mieux sa vie en main.
Un départ qui ne fait plus tellement envie
Pour Abdelghani Bouziane la solution pour que les jeunes restent, est simple : « structurer un projet, au lieu de penser à des stratagèmes dangereux ». Même si, comme il le dit, Darna est «toute petite dans la société », il est persuadé que les efforts pour accompagner les jeunes a un impact, et que l’idée d’avoir un avenir à Tanger leur évite de prendre la mer et de risquer la noyade.
D’ailleurs d’autres jeunes bénéficiaires des activités de Darna le disent aussi. Abdelrahman, 15 ans et Billal, 13 ans habitent la médina. Ils ont un point de vue intéressant sur l’Europe:
« Nous, l’Europe, on veut la voir, mais seulement pour la visiter ». Abdelrahman continue : « Je travaille ici, à Tanger, pour y construire mon avenir».
Dans les murs de l’association, comme dans les ruelles de la ville, les jeunes croisés disent qu’ils ne rêvent pas particulièrement de partir pour vivre à l’étranger. La perspective d’une vie meilleure leur semble aussi possible au Maroc.
Rester
Sur la terrassa une esplanade de la médina, surplombant la baie de Tanger, non loin du port de pêche, les jeunes marocains comme les migrants subsahariens, semblent toutefois rêver de voyage, les yeux fixés sur la mer. Parmi la foule Sami et ses amis sont bien apprêtés pour la nuit du destin, la 27ème nuit du ramadan. Ils s’accrochent à la muraille et admirent le décor qu’est le port de Tanger.
Leurs gandouras brillent au soleil. Comme Abdelrahman et Billal, risquer leur vie pour partir en Europe ne les intéresse pas, disent-ils. Les mauvaises expériences de certains enfants de leur âge les en dissuadent. L’avenir au Maroc leur semble être tout à fait logique. Mais ils comprennent les raisons qui poussent d’autres jeunes au départ.
A quelques rues de là, un père et son fils sortent de la médina. Tous deux disent également comprendre les enfants qui se mettent en danger pour partir :
«C’est la difficulté de leur vie qui les poussent à agir comme ça», pensent-ils.
Au fil de la conversation, l’homme raconte avoir lui-même émigré et vécu quelques temps en Italie, car son propre père vit là-bas. Il est vite rentré car il n’appréciait pas l’ambiance du pays, trop différente de celle du Maroc. A ses côtés son fils, lui, explique qu’il serait prêt à partir, mais seulement s’il avait une opportunité à l’étranger et que son avenir il le voit plutôt au Maroc.