Le 20 janvier dernier, les élus parisiens ont rejeté la proposition déposée par le conseiller du XIIe arrondissement Alexis Corbière, réclamant qu’une rue parisienne porte le nom de Maximilien de Robespierre. Reporter Citoyen publie sa seconde lettre.
Paris, le 23 juin 2011
Monsieur le Maire de Paris,
je demande toujours qu’une rue porte le nom de Robespierre dans la capitale.
Monsieur le Maire,
Vous le savez, j’ai déposé un vœu lors du récent Conseil de Paris demandant que soit accordé le nom d’une rue à Maximilien Robespierre. Il a hélas été largement rejeté et vous même avez fait savoir que vous y étiez opposé.
Quelques jours après ce vote, je me permets encore d’insister.
Pêché d’orgueil ? Non, simplement je n’accepte pas que soit ainsi minimisé par la représentation parisienne le rôle majeur tenu par cet homme durant la Révolution française, évènement fondateur de notre République. D’autant que sa pensée et ses actes restent pour l’essentiel d’une grande modernité.
Qu’on en juge. C’est lui qui, pour la première fois à la mi-décembre 1790, employa la devise « Liberté, égalité, fraternité », devenue depuis celle de notre Nation toute entière. C’est lui qui fut le premier défenseur du suffrage universel et de la souveraineté populaire. C’est lui qui intervint avec force pour l’abolition de l’esclavage et la fin des colonies. C’est lui qui défendit aussi la liberté de la presse et demanda même dès 1791, en vain, l’abolition de la peine de mort. A ce sujet, savez-vous que c’est grâce à ses interventions personnelles et répétées que 73 députés girondins, mis en accusation, eurent la vie sauve en 1793 ? C’est lui encore qui, le premier, exigea que l’on accorde la pleine citoyenneté pour les juifs et les comédiens.
Sensible à la question sociale, il souhaitait des lois qui « garantissent à tous les membres de la société les moyens d’exister ». Sa conception de la République était exigeante, il défendait l’espace politique de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Homme politique entier, législateur philosophe, « l’incorruptible » dut faire face à des temps difficiles où notre pays était déchiré par des invasions d’armées étrangères, de nombreuses trahisons et secoué par une terrible guerre civile.
N’ayez crainte, je n’esquiverai pas la critique. Robespierre fut effectivement un des acteurs de ce qui est nommé « la Grande Terreur ». Mais de quoi parlons-nous exactement ? D’une période de deux mois du 10 juin au 27 juillet 1794 causant la mort de 1366 personnes. Comme vous, je n’éprouve aucun plaisir à cela et, comme vous, je suis aujourd’hui farouchement opposé à la peine de mort. Mais cette violence est peu comparée à celle exercée pendant des siècles par les Rois de France, qui cautionnaient les pires massacres et les tortures. La période était d’une rare brutalité et cela ne s’est d’ailleurs pas arrêté à la mort de Robespierre. A ce titre, Thermidor n’est pas une sortie de la Terreur, mais sa continuation avec d’autres protagonistes, d’autres vainqueurs et d’autres vaincus, un changement de projet politique et non un changement de moyen politique. Il en fut ainsi pendant des décennies qui suivirent. Adolphe Thiers, quand il réprime la Commune de Paris en 1871, fait exécuter 23 000 personnes pour la seule semaine sanglante. Malgré cela, il existe une rue Thiers à Paris.
Robespierre n’était pas au sein du Comité de salut public le personnage « assoiffé de sang » qu’un vulgaire révisionnisme historique a dépeint par la suite. Bien au contraire. Faut-il rappeler que le terme de « tyran » pour le décrire est absurde, puisqu’il n’était qu’un des membres d’une instance collégiale, le Comité de salut public, élue et réélue chaque mois au sein de la Convention ?
Votre refus viendrait enfin, avez-vous dit, du fait que Robespierre aurait été, à l’initiative de la « loi des suspects » de 1792 qui restreignit les libertés publiques. Ce n’est pas exact Monsieur le Maire. Cette loi fut à l’initiative du conventionnel Jean-Jacques Régis de Cambacérès, qui pourtant, ironie de l’histoire, a droit à une rue de Paris.
Alors, pourquoi s’opposer ainsi à cette demande portée par de nombreux historiens ? Ils vous l’ont fait savoir dans une tribune récemment publiée.
A la Libération, les forces parisiennes, après avoir lutté contre l’occupant nazi, avaient baptisé une place du nom de Robespierre (l’actuelle place du marché Saint-Honoré). Une majorité conservatrice reviendra sur cette décision en 1950. Preuve, s’il en fallait, que la toponymie, c’est toujours de la politique.
Monsieur le Maire, vous connaissez les critiques sur différents dossiers qui sont celles du groupe dans lequel je siège désormais. Elles ont toujours été faites dans l’intérêt des Parisiens. Malgré nos désaccords, nous savons que depuis 2001, sous votre impulsion, Paris a « changé d’ère ». Il est temps que cela soit aussi le cas concernant la mémoire de Robespierre.
Lucide mais opiniâtre, je suis persuadé que nous arriverons à vous convaincre. Cela prendra le temps qu’il faut. Après tout, ce débat ne dure-t-il pas depuis plus de 200 ans ?
Monsieur le Maire,
Salut et Fraternité
Alexis Corbière
Conseiller de Paris du 12e