Pour leur premier reportage les reporters citoyens de la 3è promotion sont allés à Nuit debout Place de la République à Paris. Observer, sentir, écouter, humer la foule, interviewer, tel fut le défit de nos apprentis journalistes.
Reportage : Hanazade MRADABI
Vingt heures, place de la République. Les cheveux en bataille, dans son long manteau noir, Maxence, 24 ans, écoute le discours d’un homme au milieu d’une assemblée improvisée. Il sourit ironiquement lorsqu’il entend : « Je crois vraiment que le peuple français est important, il va changer le monde ! ». Peut-être ne le croit-il pas mais il participe à la Nuit debout, car selon ce jeune entrepreneur « c’est important d’être là, important de montrer que tout le monde est concerné. Ce ne sont pas que les chômeurs comme on peut le lire dans certains médias. Je viens ici après le travail, comme beaucoup de monde. Cela dure toute la nuit parce qu’on a besoin de plus de temps pour échanger. Le 31 mars 2016 j’ai manifesté de Place d’Italie à Nation. J’ai vu la violence gratuite des forces de l’ordre, je me suis pris des grenades dans les genoux. Or ce que recherche les gens ici ce sont des choses concrètes, un vrai mouvement citoyen et pacifiste ». Et quand on lui demande si des choses concrètes sont apparues ces derniers jours, il explique : « Il y a une sorte de catharsis où tous les ressentis de tous les corps de métiers se retrouvent. On cherche une nouvelle démocratie. Ce qui va émerger de là, bien sûr les politiques vont essayer de le récupérer. Ils vont nous lâcher des petits bouts de gras, proposer des référendums. Mais on ne devra pas s’en contenter, il faut du nouveau.»
Le nouvel élan populaire tente de se propager à travers la foule. Chacun semble s’être accordé un rôle : orateur d’un soir ou auditeur libre. C’est ce qu’on appelle les Assemblées populaires ou débats à ciel ouvert. Tous les moyens sont mis en œuvres, sonos, micros, bâches pour protéger les stands et affronter la pluie. C’est un vrai village qui voit le jour chaque soir. Tout le monde est invité à ramener ce qu’il peut, nourritures, vêtements, tables. Il y a même des médias indépendants qui retransmettent les informations locales, avec Radio Debout ou la Télévision Debout.
Ancien consultant en management, devenu bénévole à temps plein à Nuit debout, Basile, 26 ans, est sur le feu, un sandwich à la main. « On récupère tout ce qu’on peut, bâches, meubles, tables, même des matériaux plus archaïques. On fait ça depuis le début pour tenir le mouvement.» Il n’agit pas pour une association en particulier, mais récupère leur don, comme la sono prêtée par l’Association d’aide au logement (DAL). L’occupation elle, a été demandée à la mairie par l’organisation altermondialiste Attac. C’est donc avec toutes les bonnes volontés, et l’aide d’associations, que la Nuit debout perdure de façon autonome.
Venue avec ses trois enfants, Emmanuelle, 34 ans, assise par terre sur son manteau porte sa petite fille de quelques mois sur le dos. Les deux ainées, qui doivent à peine être en maternelle, s’amusent et mangent le pique nique préparé par la maman. Sur un panneau celle-ci indique « Je suis historienne, je peux répondre à vos questions. #ScienceDebout. » On ne se prive pas alors de lui en poser. Qu’est-ce que les Sciences Debout ? Elles ont été initiées par des professeurs qui souhaitent œuvrer ailleurs que dans une classe d’étudiants, face à des gens de n’importe quel horizon, pour créer du lien social. Après une thèse sur la Californie aux Etats-Unis, Emmanuelle est professeur d’histoire-géographie actuellement en remplacement dans les lycées. Elle est seule ce soir, mais dimanche prochain à 14h plus d’une centaine de professeurs sont attendus. « L’idée n’est pas d’être expert mais de connaître les questions que se posent les gens. On veut pouvoir les faire renouer avec les sciences. », explique-t-elle. A la question si ce n’est pas trop difficile d’agir accompagnée de ses filles, elle répond « leur papa bosse tard alors le soir il ne peut pas les garder. Je trouve ça bête de faire venir une nounou, j’habite à côté. Mais c’est mon engagement, je ne veux pas leur imposer tous les soirs. Le premier soir on est venu samedi. Dimanche il y avait même des activités pour les enfants, j’espère qu’ils en feront plus. » A voir ses filles elles semblent parfaitement acclimatées et mangent leur carottes en faisant des bonds.
Divers odeurs de nourritures envahissent les stands à mesure que les heures passent, c’est l’heure de dîner dans une ambiance barbecue géant. Merguez, brochettes, sandwichs sont distribués en grosse quantité. Mais s’il y a un stand qui a toujours été là pour les plus démunis, bien avant les Nuits debout, c’est celui des Restos du Cœur. Annie, 51 ans, est là pour accueillir ses habitués, elle les appelle tous par leur prénom. « Monique, comment tu vas ? » Elle n’en oublie aucun.Bénévole depuis 6 ans, elle régule le flux de distribution plusieurs fois par semaine. « Nous sommes là toute l’année. Mardi, jeudi, et samedi dès 20h. Sauf en Juillet, en raison des congés pour les transporteurs. On trouve du salé mais aussi du sucré. Les boulangers du quartier nous préparent d’excellentes choses. » Tous les soirs le plus gros du repas est préparé et ramené d’Aubervilliers. Si dans la vie professionnelle, Annie est assistante de direction, distribuer entre 280 à 400 repas par soir lui met du baume au cœur, aux côtés des générations de bénévoles qui se rejoignent, du plus jeune au plus vieux. Une vraie cohésion, avant même la présence de Nuit debout. « Au début on était installé là-bas, puis on a dû se déplacer. On s’adapte. » Quand on lui demande si elle pense que ça peut durer longtemps, elle est interdite et ne semble pas y penser : « On ne sait pas… »
Ceux qui espèrent que ça va durer longtemps sont sûrement les étudiants, qui ont rapidement créé leur propre stand. Ils viennent de toute l’Île-de-France : Paris 8, Paris 1, Marne-la-Valley, etc. .Bertrand, 22 ans, répond aux arrivants et distribue des flyers où l’on peut lire : « Nous étudiant(es) de Paris 8, Unissons nos forces à celles de travailleur (ses) » Une image de Hollande cache la bouche d’un jeune homme avec le slogan « Sois jeune et Tais toi. » Plus ludique, au stand des étudiant on récupère aussi des canettes vides pour les découper et créer des bougeoirs ou des cendriers. Tout le monde peut se servir, mais le but est de mettre les bougeoirs au centre de la Place au pied de la statue.
Sous la fumée des barbecues la musique des tambours commencent à retentir, et certains vont retrouver les danseurs et mélomanes au milieu de la place. Mélange de fête et d’assemblée, la Nuit debout donne des coups d’espoir.