Disparitions, massacres, répressions… depuis des mois la mobilisation de la société civile au Mexique dénonce les dérives d’un Etat complice de la violence organisée qui sévit depuis des années dans le pays. Alors qu’en mai dernier une délégation de victimes était en tournée européenne pour chercher le soutien de la société civile en France, le président François Hollande a fait du président mexicain Enrique Peña Nieto son invité d’honneur du 14 juillet. Oubliant les 43 étudiants mexicains enlevés par la police le 26 septembre dernier, et les milliers de victimes civiles, devenues les symboles de la lutte contre la corruption de l’Etat mexicain.
« Ils les ont pris vivants… Nous les voulons vivants ! », « L’Etat assassin tue les étudiants ! », scandait quelques 300 manifestants dans les rues du XXè arrondissement à Paris en mai dernier. A la tête du cortège, Omar García, l’un des rescapés du massacre des étudiants de l’Ecole Normale d’Ayotzinapa au Mexique, et Eleucadio Ortega, le père d’un jeune disparu, était venus chercher le soutien de la société civile en Europe.
Soutenu par le Collectif Paris-Ayotzinapa, La Caravane 43 – en mémoire du nombre des étudiants disparus – s’était montrée particulièrement déterminée à dénoncer les abus d’un état mexicain gangréné par la violence et les cartels de trafic de drogues.
« Le Mexique connaît une grave crise contre les droits humains, ce qui nous a obligé à nous organiser pour garantir nos propres droits », assène Román Hernández, membre du centre des Droits humains dans l’Etat du Guerrero.
Dans cette région, l’une des plus pauvres du Mexique, le taux d’homicide est encore plus fort qu’ailleurs. C’est là que le 26 septembre denier, 57 étudiants âgés entre 18 et 21 ans, ont été attaqués dans la ville d’Iguala par des policiers et des membres d’un cartel criminel local nommé Guerreros Unidos. Les étudiants issus de familles très modestes se rendaient à une levée de fonds pour une manifestation.
Si une poignée d’entre eux a pu échapper au massacre – sains et saufs ou blessés – d’autres ont été assassinés et 43 d’entre eux sont encore portés disparus après avoir été enlevés par la police locale.
La société civile mexicaine avait réagi dans tout le pays pour exprimer son raz le bol dans un contexte où « il faut se rappeler qu’il ne manque pas seulement 43 personnes mais qu’il y a plus de 23 000 disparus depuis 2006 au Mexique et plus de 150 000 personnes assassinées en 10 ans », souligne amèrement Roman Hernandez.
Le scandale des jeunes étudiants avait contraint l’Etat mexicain à mener une enquête. 74 personnes avaient été interpellées, parmi elles, policiers, fonctionnaires et membres du cartel local. Les détenus auraient avoué avoir tué les survivants, les avoir brûlé dans une décharge puis jeté les restes de leurs corps dans une rivière.
Une enquête contestée
« Le gouvernement mexicain nous a trompé en nous disant que nos enfants sont morts et tous calcinés. Mais nous pensons qu’ils les tiennent séquestrés, confie Eleucadio Ortega, père de l’un des jeunes. Nous ne croyons pas ce que dit le gouvernement car il n’y a pas de preuves scientifiques. Une équipe indépendante de légistes argentins l’a confirmé. Alors que le gouvernement veut essayer de nous faire croire que les 28 corps retrouvés dans les fosses dans les environs d’Iguala sont ceux des étudiants. »
La contre expertise scientifique indépendante des Argentins a montré en effet que les analyses ADN des corps retrouvés ne correspondaient pas à celles des jeunes. Soulevant ainsi toutes les incertitudes et relançant les espoirs des familles.
Amnesty International, Human Rights Watch et plusieurs ONG internationales avaient dénoncé les conclusions de l’enquête officielle estimant qu’il était trop tôt pour déclarer les étudiants morts, faute de preuves.
Depuis la disparition des 43 jeunes, le mouvement de solidarité avec les étudiants d’Ayotzinapa perdure dans les rangs de la société civile non seulement au Mexique, mais aussi à l’international.
Même si « les menaces de répression contre notre mouvement persistent, explique Omar Garcia, l’un des étudiants rescapés. Cette lutte s’est aussi transformée en lutte contre l’oubli. Une lutte contre la résignation et l’acceptation d’une réalité que nous ne pouvons accepter ». « Il n’y pas de justice pour les étudiants ni pour les pauvres », ajoute Eleucadio Ortega, la voix grave.
La tournée européenne de la délégation mexicaine avait trouvé un écho à leur cause en France auprès d’une société civile touchée par cette injustice dramatique. Car pour le Collectif Paris-Ayotzinapa (CPA) :
« La France et l’Europe ne peuvent plus rester indifférents à la souffrance du peuple mexicain, ni cautionner un régime corrompu jusqu’à la moelle et de plus en plus autoritaire ».
Un 14 juillet entaché de sang…
La venue du président mexicain Enrique Peña Nieto en France comme invité d’honneur pour le 14 juillet avec le défilé de soldats mexicains suscite une véritable indignation.
Pour dénoncer les répressions sanglantes dont se rend coupable l’Etat mexicain, plusieurs fontaines parisiennes ont été colorées en rouge par des manifestants le 14 juillet.
Le Collectif Paris-Ayotzinapa (CPA) condamne ainsi « l’hypocrisie qui entoure la venue de Peña Nieto en France, car elle n’a rien à voir avec l’amitié des peuples français et mexicain. Au contraire, elle a tout à voir avec des intérêts purement économiques et avec des contrats de vente d’armements qui, par ailleurs, seront très probablement utilisés contre la population civile mexicaine ».
Le 23 mars dernier la diplomatie française avait rencontré Idefonso Guajardo, ministre mexicain de l’économie pour discuter du « renforcement de la relation économique entre nos deux pays, dans la perspective de la visite officielle du président Pena Nieto à Paris le 14 juillet. Cet entretien a permis de confirmer la qualité et la vitalité de nos liens économiques. Nos échanges commerciaux sont en hausse constante depuis plusieurs années (4,2 milliards d’euros en 2014), avec une balance commerciale excédentaire. De nombreux projets ont été lancés dans des secteurs stratégiques comme l’aéronautique et les transports. », résumait le site officiel de la diplomatie française.
Pour Ramón Hernández « une des choses qui a été mise en lumière c’est que la classe politique mexicaine accepte depuis le 26 septembre la collusion qui existe entre la délinquance organisée et les hautes sphères du gouvernement ».
Si la société civile française soutient le mouvement des civils mexicains, c’est donc sans compter sur le soutien de l’Etat français. Le 14 juillet, symbole de la révolution française, ne serait-il pas devenu un feu d’artifice illusoire ?
Pour en savoir plus
Site internet
http://ayotzinapaenlutte.blogspot.fr–
Page Facebook
Mexicanos en París x Ayotzinapa