Le chef de l’Etat a annoncé en septembre dernier son projet d’une Maison de l’Histoire de France dans les locaux des Archives. Depuis, le personnel occupe les lieux. Justine (Boulogne) explique les raisons pour lesquelles on peut s’inquiéter.
Le 12 septembre 2010, une annonce officielle nous apprend que la dernière idée en or de notre grand président est… une Maison de l’Histoire de France ! Ben si, vous savez : chaque président se doit d’avoir son pôle culturel : le musée des Arts premiers pour Jacques Chirac, la bibliothèque François-Mitterrand, le centre Georges-Pompidou… Impensable donc pour Nicolas Sarkozy de ne pas avoir le sien, et il a choisi d’œuvrer sur notre histoire. On a un peu peur.
Déjà, il faut admettre que cela relève du défi de résumer l’histoire d’un pays en un seul lieu. On risque d’en trouver une vision étriquée, et l’histoire en réalité est toujours plurielle.
Ensuite, et sans vouloir mettre en doute la capacité de Nicolas Sarkozy à avoir une vision objective de notre histoire (nous n’oserions pas!), il n’est tout de même pas rassurant de savoir que la lettre de mission à Eric Besson sur ce projet lui demande explicitement de « promouvoir notre identité nationale ». Le choix du lieu d’implantation ne fait pas taire ces inquiétudes puisqu’il s’agit des Archives nationales, plus particulièrement du site du 11 rue des Quatre-fils, dans le troisième arrondissement de Paris. Rappelons qu’avec des sources documentaires et iconographiques triées, stockées et conservées depuis plus de 220 ans, et un accès garanti aux étudiants, chercheurs, généalogistes et historiens mais aussi à monsieur tout le monde, l’institution, qui est un service public, permet à tout un chacun (130 000 visiteurs annuels) de consulter et d’étudier sa propre histoire. Pourquoi alors vouloir y implanter une Maison de l’Histoire de France ?
Les raisons avancées pour ce choix font sourire. Premier argument : la Maison de l’Histoire de France saisirait l’opportunité d’occuper des espaces bientôt vides. Faux, puisque les Archives manquent déjà de place. Et que ces nouveaux espaces devaient accueillir des éléments qui attendent depuis des années d’être mis à disposition des chercheurs.
Deuxième argument, d’ordre financier : réaliser ici son musée permettrait à Nicolas Sarkozy, enfin plutôt à nous, d’éviter un projet coûteux. Selon le directeur général des patrimoines, le coût de la réhabilitation s’élevait déjà à 76 millions d’euros en 1999 ; dans ce nouveau projet, il ne s’agit plus d’une simple réhabilitation… et on ne nous parle plus que de 60 millions d’euros ! On a du mal à y croire.
Qu’on se rassure, le dernier argument est sans appel : « Les Archives nationales ont toute leur part dans ce projet ». Ah ? Et la suppression d’une centaine de postes par rapport aux engagements ministériels précédents, annoncée il y a un mois par le ministère de la Culture ?
Les historiens et le personnel des Archives, qui n’ont pas l’air eux non plus de croire en leur place dans ce projet, se sont mobilisés. Certains d’entre eux ont déclenché l’occupation des locaux le 16 septembre, quatre jours seulement après l’annonce officielle de Nicolas Sarkozy. Le mouvement tient, puisque voilà plus de trois mois que le personnel occupe 24 h sur 24 le Palais Soubise, siège des Archives. Et autant de temps que le débat fait rage entre eux et les hommes politiques : les premiers, tel Nicolas Offenstadt (qui a co-dirigé l’ouvrage collectif « Comment Sarkozy écrit l’histoire de France »), dénoncent le danger d’une réécriture de l’histoire, les seconds vantent son « caractère structurant » pour l’identité culturelle.
La semaine dernière, nouveau rebondissement, et pas des moindres. Face à une nouvelle assemblée générale qui a voté (à l’unanimité) le 4 janvier pour la poursuite du mouvement, le directeur de cabinet du ministre de la Culture, Pierre Hanotaux, a menacé, pour des raisons « de sécurité », de repousser l’ouverture de l’exposition « Menus plaisir du roi », prévue initialement le 19 janvier. Décision tout à fait injustifiée puisque, malgré l’occupation, les Archives continuent de fonctionner normalement et restent accessibles au public. Pour l’intersyndicale, il s’agit d’un « chantage ignoble » tandis que l’opposition juge « scandaleuses » ces méthodes.
Un rendez-vous entre les deux camps a été fixé pour le courant de la semaine, au ministère. Affaire à suivre.
Justine Le Cor