Originaires de zones enclavées, éloignées des villes, cinq femmes cherchent à faire entendre la voix des Amérindiens de l’intérieur de la Guyane française. À l’occasion d’une réunion organisée à Cayenne par le Secours Catholique, elles ont partagé les difficultés qu’elles rencontrent au quotidien pour accéder à leurs droits.
« J’ai fait onze heures de route, dont six de pirogue, raconte Pamela Charles, qui arrive du bourg de Camopi, à la frontière brésilienne. Chaque séjour à Cayenne me coûte 300 €. Il n’y a qu’ici qu’on délivre les papiers d’identité nécessaires à l’inscription scolaire… » Mirzette Édouard, cheffe coutumière du village Trois-Palétuviers (à l’embouchure du fleuve frontalier Oyapock), a dû, elle, « partir à 5 h du matin, prendre la pirogue pendant 45 minutes jusqu’à Saint-Georges – la ville la plus proche – puis faire trois heures de bus ». Mylène Aloike, 20 ans, ne pouvait venir qu’en avion : elle vit à Talhuwen, village proche du Suriname, à 1 h 30 en pirogue de Maripasoula (la plus vaste commune de France, couverte de forêt – comme les 98 % du territoire guyanais). Le vol aller-retour a coûté 160 €.
Encadrées par Vaneza Ferreira, chargée de mission au Secours Catholique, cinq femmes se retrouvent pour la troisième fois à Cayenne, en Guyane française, pour partager leurs expériences, se former à la prise de parole en public et faire valoir leurs droits. À cette occasion, nous avons pu échanger avec elles en visio-conférence.
Des frais scolaires de plus en plus coûteux dès le collège
« J’ai fait mes comptes : je vais devoir débourser 4 500 € !, lance Pamela, dont le fils entre bientôt au lycée à Cayenne. Il va falloir assumer les frais d’hébergement, d’alimentation, de transport, d’assurance, les fournitures scolaires… »
« J’ai arrêté les études après un CAP vente de deux ans à Kourou : ma mère n’avait plus les moyens de payer l’internat…, raconte Rosalie Walacou, 19 ans. Je ne trouvais pas d’emploi à Cayenne, je suis donc rentrée au village. » En Guyane « non-routière » (l’immense majorité du territoire est dépourvue de réseau routier), 82 % des titulaires de CAP sont sans emploi ni formation selon l’Insee.
« J’ai dû quitter le lycée avant le bac : je n’avais pas trouvé de famille d’accueil »,témoigne Mylène. Comme elle, 60 % des 18-29 ans sont au chômage en Guyane, où 56 % de la population est âgée de moins de 30 ans.
Des aides sociales existent mais les familles n’en ont pas toujours connaissance ou n’ont pas les moyens de se rendre à Cayenne, chef-lieu de la région, pour en bénéficier. Dans les zones rurales, les enfants vont à l’école primaire près de chez eux. À partir du collège, ils doivent se rendre en ville en pirogue (payante). Au lycée, direction Cayenne, Kourou ou Saint-Laurent-du-Maroni.
« Passer du village à la ville, c’est un gros choc culturel »
« J’avais 14 ans. C’était la première fois que je posais les pieds sur le littoral », se souvient Inina Aloike, originaire du village Aloike (près de Maripasoula), désormais installée à Cayenne. « J’étais perdue… Ma famille hébergeante ne nous laissait pas sortir, les adultes nous criaient dessus, on ne mangeait pas le soir. Le matin, je devais manger un petit-déjeuner citadin (baguette de pain et chocolat chaud) auquel je n’étais pas habituée et que je vomissais systématiquement. »Sélectionnées par la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), les « familles hébergeantes » sont des familles citadines payées par la collectivité pour loger des collégiens et lycéens venus de l’intérieur du territoire. D’après les femmes interrogées, ces familles ne prennent pas toujours en compte le vécu des jeunes Amérindiens.
« Passer du village à la ville est un gros choc culturel pour nos enfants, explique Pamela. Ils découvrent les transports en commun, les magasins, la frustration liée au manque d’argent, les mauvaises fréquentations aussi… » Résultat : le taux de scolarisation à 18 ans est de 65 % en Guyane contre 81 % aux Antilles et 84 % en France métropolitaine, selon l’Insee. Selon la Cour des comptes, 10 000 jeunes ne seraient pas scolarisés sur le territoire guyanais, le plus pauvre de France après Mayotte.
Des écoles bondées, une diversité linguistique mal prise en compte
« La collectivité a pour volonté de renforcer l’accompagnement des familles en association avec les travailleurs sociaux pour optimiser les modalités d’accueil des élèves », peut-on lire sur le site internet de la Collectivité territoriale de Guyane. Encouragée par une récente étude de l’Unicef France et du Défenseur des droits, une réforme est en cours pour changer les modalités de sélection et de formation des familles, d’affectation et de suivi des élèves accueillis.
Menée entre septembre 2019 et avril 2021 par une équipe de quatre chercheurs des universités de Guyane et Nanterre, l’étude intitulée « Guyane, les défis du droit à l’éducation » confirme que le territoire affiche une insuffisance d’infrastructures scolaires – impliquant des taux de remplissage de 140 – 150 % dans certains établissements – et fait face à un manque structurel d’enseignants titulaires ainsi qu’à une difficile prise en compte de la diversité linguistique et culturelle (70 % des enfants n’ont pas le français pour langue maternelle).
« On se débrouille comme on peut »
« La bouteille de Coca est à 5,50 € !, s’indigne Mylène. La vie est trop chère dans l’intérieur des terres, on est obligés d’aller faire nos courses au Suriname ». Pour subvenir à leurs besoins, les femmes vendent au marché les produits de la chasse, de la pêche et de l’abattis (culture sur brûlis) – lorsque les terres ne sont pas inondées.
« On se débrouille comme on peut », soupire Pamela, qui se démène pour accompagner les adultes de son village dans les démarches administratives et organiser des séances de cinéma pour les enfants. Les 33 familles du village de Mirzette cotisent pour acheter les 50 litres d’essence nécessaires pour alimenter une maison en électricité. De son côté, Inina accueille des jeunes lycéens chez elle à Cayenne pour leur éviter de vivre ce qu’elle a vécu.
Pour ces femmes, qui se sentent marginalisées et privées de leurs droits les plus élémentaires, la rencontre à Cayenne est l’occasion d’apprendre à plaider leur cause auprès des autorités et à organiser de nouvelles actions en faveur de l’éducation dans leurs villages. « Ça donne de la force, on s’inspire les unes des autres ! », conclut Rosalie.