Traiter de la violence des femmes n’est pas chose aisée. C’est un sujet qui dérange. Peu traité dans les médias, il fait rarement les titres, hormis l’affaire emblématique de Jacqueline Sauvage, condamnée puis graciée, pour le meurtre de son mari après des décennies à subir ses coups. Traiter de la violence des femmes est difficile parce qu’il y a encore tant à faire dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Les femmes restent d’abord et avant tout les premières victimes de la violence masculine. 

A Tourcoing, les récits ne manquent pas. Nous nous sommes installées dans une petite salle, au 3ème étage de la MJC La Fabrique, pour une semaine d’ateliers. En plein coeur de l’hiver, la pièce, haute de plafond et carreaux rouges vieillis au sol, est difficile à chauffer. Les grandes fenêtres permettent, néanmoins, de profiter du peu de lumière qu’offre ce lundi de janvier glacial et humide dans cet ancien immeuble industriel. 

La violence des hommes

Face à nous, sept femmes de plusieurs générations. La plus jeune a dix-huit-ans. La plus âgée, quarante-huit ans. La plupart sont nées dans le département du Nord. Des silences ponctuent des confidences brèves, en pointillés. «J’en ai eu marre de prendre des coups, mais je n’avais pas réalisé à quel point il m’avait détruit psychologiquement, je le saisis aujourd’hui », glisse Stéphanie*, mère de deux enfants, avec pudeur. «Même quand t’es défigurée devant ton médecin, tu es tellement prise dans un piège malsain, que tu minimises ta souffrance auprès des soignants» se souvient Maryline*, mère de quatre enfants, soulagée que cette histoire soit maintenant derrière elle. 

Les plus jeunes aussi livrent leurs anecdotes malheureuses. « En pleine journée, avec des copines, on attendait le bus, un groupe d’hommes en voiture est repassé trois fois devant nous. Ils nous ont demandé de monter, on a refusé, ils nous ont insultées, nous avons fini par interpeller quelqu’un qui habitait à côté de l’abri bus, on a fait comme si on le connaissait » raconte Célia encore sidérée par l’absurdité de la situation.

Temps d’échanges avec les femmes sur leur rapport aux médias et le traitement médiatique des violences faites aux femmes.

C’est la première fois que ces femmes partagent ensemble ces récits de vie. Elles se connaissent mais n’ont jamais partagé un tel degré d’intimité. Elles fréquentent assidûment la MJC avec leurs enfants que ce soit pour du bénévolat, les sorties jeunesses ou toutes autres activités sportives et culturelles. La MJC, c’est un poumon dans leur quartier. Chacun peut y venir, la porte est toujours ouverte. « Il y a toujours quelque chose à faire, un coup de main à donner » précise Cindy. Pourtant pour ces femmes, un jour compte plus que les autres à la MJC. C’est le mardi de 15h à 16h. Chaque semaine, elles ont une heure pour elles et entre elles pour faire de la boxe avec le coach Maïdin. Ce cours est proposé depuis septembre 2022 à la demande des mamans. Et depuis, un petit rituel s’est installé. 

Un cours de boxe pas comme les autres

Un léger footing pour commencer, des montées de genoux, des pas chassés. « Un peu de cardio pour réchauffer tout ça, il fait à peine 5 degrés dehors, faut se réchauffer les filles ! Allez ! ». Ça souffle, les bruits de pas s’enchaînent, couverts par la voix puissante du coach. Un morceau de dancehall rythme le fond sonore et met l’ambiance. 

Toujours le même rituel sauf qu’aujourd’hui, c’est spécial. Elles sont dans une salle de boxe, une vraie. Avec « deux rings comme dans les films » s’émerveille Cindy. Mais aussi des sacs de frappe, des appareils de musculation… Les regards fixés au mur, elles observent les trophées, les photos des champions locaux et les affiches de compétitions passées. 

C’est dans cette salle que s’entraîne quotidiennement Maïdin. A 29 ans, ce champion du monde de boxe anglaise partage son expérience à travers l’agence pour l’éducation par le sport (APELS) qu’il a créé. « Je leur fais comprendre que la boxe, ce n’est pas si violent, ce n’est que du jeu. Quand on monte sur un ring, on apprend à se connaître, chaque coup est un message ».

Pour le coach Maïdin, la boxe est un outil de réinsertion et d’affirmation de soi.

Après quinze minutes d’entraînement, le rouge monte aux joues, elles peuvent enfin enfiler leurs gants de boxe. Nouvel exercice inédit : taper dans un sac de frappe. Maïdin rappelle quelques gestes de précaution. « Tapez vraiment avec le poing pour éviter les accidents aux poignets. Et maintenant pendant deux minutes, vous éclatez le sac ! ». Les premiers poings de Karima* sont timides. Les sacs sont robustes et impressionnants par leur taille. Petit à petit, les coups se font entendre, les voix s’élèvent, Karima commence à se lâcher. « En fait, c’est quand même plus simple de taper dans un sac que sur une personne, à lui, on sait qu’on ne lui fera pas de mal »

Apprendre à donner un coup 

Taper, donner un coup à son adversaire : sur le papier, cela semble si simple. « Clairement, frapper, ce n’est pas naturel. Au début, j’avais le bras qui reculait, j’étais surprise de voir que mon corps ne voulait pas taper » nous confie Stéphanie. C’est une étape par laquelle elles sont toutes passées. «Ça veut dire prendre conscience de son corps, de l’acte, ça bouscule. C’est se faire violence. Maïdin nous disait : allez, frappe-moi n’aie pas peur » poursuit Stéphanie. Elle reconnait avoir toujours cette appréhension de faire mal à un adversaire féminin. « C’est toujours le cas au début avec les femmes que je suis », remarque Maïdin. « Contrairement à un jeune de quinze ou dix-sept ans qui commence la boxe, pour qui c’est tout de suite beaucoup plus facile de mettre un coup »

Le moment tant attendu est arrivé. Les premiers matchs de boxe vont démarrer. A chaque fois un binôme – une boxeuse et sa coach – face à un autre duo. Chaque groupe prend deux minutes pour se préparer mentalement avant l’entrée sur le ring. Les adversaires se saluent comme il est de rigueur dans cette discipline. 

Au top départ, les cris d’encouragement retentissent. « Attaque, attaque ! ». « Allez Camille, allez Karima, c’est bien, droite, droite, voilà super, encore ! ». Des cris, mais beaucoup de rires aussi pendant les deux minutes trente de combat. Maïdin observe ses élèves, tout en veillant au respect des règles. Les filles sont absorbées par leur match, elles donnent tout. A chaque coup de sifflet final, souriantes mais le souffle court, les joueuses laissent place aux suivantes. Après quatre combats, le coach sonne la fin des confrontations. 

C’est l’heure des étirements et du débriefing. « Le ring, ça change tout, c’est difficile de se retenir, t’as trop envie d’y aller » glisse Camille en rigolant entre deux exercices de gainage. Décision est prise de réitérer très vite l’expérience à la salle. Dans les regards, on ressent beaucoup de gratitude et de respect entre le coach et les femmes. « A travers la boxe, j’essaye de les valoriser, de balayer tout ce qu’on leur dit de négatif avec du positif, de leur faire comprendre, qu’elles sont fortes. Ça leur donne de l’assurance et ça leur permet d’aller loin dans leur projet de vie. Et avec la boxe, elles ont des messages à donner » livre Maïdin, visiblement ému. 

La violence des femmes sur la table 

Retour en atelier dans les locaux de la MJC La Fabrique. Nous ouvrons la discussion sur la violence des femmes. A l’aide d’une revue de presse, chaque femme s’empare de l’article qui l’intéresse. Des agressions menées par un gang d’adolescentes à Toulon, un portrait de Jacqueline Sauvage graciée par le président Francois Hollande, une femme jugée pour violence sur son conjoint à Vannes, un entretien de l’historienne Fanny Bugnon sur la dépolitisation de la violence des femmes… Les critiques fusent sur certaines tournures de phrases, expressions et sous-entendus. « La femme est infantilisée, on voit que les femmes n’ont pas le droit d’être violentes » déclare Inès au sujet de l’article vannetais. « Quand une femme agit de façon violente, on sintéresse plus à sa santé mentale qu’à son combat » résume Stéphanie, en référence à l’entretien de l’historienne. « Les filles sont aussi violentes que les garçons. Elles attaquent plus verbalement, ça impacte plus psychologiquement. Les garçons sont plus dans le physique » admet Célia à la lecture de l’article sur le gang des adolescentes. 

Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez été violentes ? C’est l’une des questions que nous leur avons posé sur un post-it, chacune étant libre d’y répondre ou non et anonymement. « J’ai claqué la porte d’une armoire ». « J’ai frappé dans une porte ». Toutes nous ont avoué ne s’être jamais posé une telle question. Parmi les témoignages,  nous avons été surprises de constater qu’à plusieurs reprises, les femmes étaient violentes envers elles-même. « C’est retourner la violence vers l’intérieur plutôt que l’extérieur, ne pas s’accorder l’attention dont on a besoin. Cela a eu des incidences sur ma santé » accepte de nous dire Stéphanie sans rentrer dans les détails. Dans le même sens, Célia raconte « j’ai des amies qui sont anorexiques, elles sont dans une démarche auto-destructrice, c’est de la violence contre soi »

Une autre question soumise aux participantes a permis de soulever un point essentiel. Qu’est-ce qui vous retient d’exprimer votre violence ?  Pour la majorité, leurs enfants sont érigés comme rempart à l’expression de leur violence. « Je dois être un modèle pour eux ». « Ne pas faire aux autres ce qu’on ne veut pas qu’on nous fasse ». Et c’est l’un des témoignages qui résume bien l’équilibre qu’elles essayent toutes te tenir. « On encaisse, on a des gestes violents, mais on sait prendre sur nous et nous décharger dans des cours de boxe »

L’histoire de ce cours de boxe

Le groupe s’est étoffé au fil des semaines pour compter aujourd’hui une douzaine de femmes âgées de 25 à 55 ans. Pour toutes, enfiler des gants de boxe était une nouveauté. Voyant ce sport comme un « sport violent et pratiqué que par des hommes », elles ont hésité puis se sont lancées. Depuis septembre, elles se retrouvent, plus ou moins assidument, au cours de boxe de Maïdin. Ce jeune trentenaire est un boxeur professionnel, originaire de Roubaix mais aussi coach quelques heures par semaine, si on le sollicite et si le projet le touche. Car Maïdin croit au fait que la boxe est un excellent exutoire, un sport où on se reconstruit, où on évacue ses problèmes et la violence du quotidien. Très vite, un lien sincère s’est tissé entre eux. La confiance se reconstruit en elles. 

La rencontre entre ces femmes et le coach roubaisien s’est fait quelques mois plus tôt grâce à Marjorie. Référente famille au sein de la MJC La Fabrique de Tourcoing, voilà plusieurs mois qu’elle ressentait un besoin auprès de plusieurs femmes, gravitant à la MJC pour les activités de leurs enfants, d’évacuer, de relâcher la pression de leur quotidien : « je connais certaines depuis plusieurs années et je sais que quelques unes vivent ou on vécu des violences dans leur foyer. Une autre est mère d’un enfant handicapé, d’autres sont des mères de famille nombreuse et isolées… Beaucoup de charges mentales pèsent sur elles et j’ai senti que la boxe pourrait leur permettre de gagner en confiance en elles et d’avancer dans leur reconstruction pour certaines. On veut leur rappeler qu’elles existent tout d’abord en tant que femmes ! » explique Marjorie. 

La « boxe thérapie » semble porter ses fruits. Un noyau dur de quelques mordues réclame plus de cours : « on voit qu’elles se sont prises au jeu, on sent qu’elles y mettent beaucoup d’intentions à chaque séance et qu’elles ont bien moins de réticences qu’au début » voit Marjorie avec encouragements. 

« Maïdin les écoute beaucoup, prend le temps d’échanger quelques mots avec elles et tente de distiller quelques bons conseils au fil du cours », précise la référente Famille. Car le cours se donne aussi pour objectifs d’apprendre à esquiver, à utiliser la force de l’adversaire contre lui et à faire confiance lorsqu’on est face aux bonnes personnes.

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