À l’occasion de l’élection présidentielle, la série « Paroles de sans voix » donne la parole aux oubliés de la société. Depuis cinq ans, un groupe de Brestois se réunit chaque semaine, à l’initiative d’ATD Quart Monde, pour trouver des solutions ensemble pour développer leurs compétences informatiques. Mais aussi pour apprendre à s’exprimer sur des sujets d’actualité.
La table des opérations est recouverte d’une nappe rouge à motifs. Une demi-douzaine de Brestois sont réunis pour réparer des vies à l’aide d’outils numériques. Et la magie opère. À la maison des associations de Brest, ATD Quart-Monde tient une permanence d’aide à l’accès au numérique tous les jeudis après-midi. L’atelier Lirecrire, le vendredi matin permet en complément de travailler son écriture et de contribuer au site internet de l’atelier.
« C’est bon, ça marche ! »
Le jeudi, on vient avec ses douleurs informatiques du moment. Le groupe tente d’établir un diagnostic et de trouver un remède. « Nous n’organisons pas une formation, nous faisons de l’apprentissage. On s’entraide. Et si on apprend quelque chose, c’est pour l’apprendre à quelqu’un d’autre », explique Monique Argoual’ch. Membre d’ATD depuis 2005, elle est à l’origine de cette initiative. Le but : lever les peurs face au numérique.
Ce jeudi matin de mars, Marie-Claire, retraitée, a un problème avec son ordinateur : son micro ne fonctionne pas lorsqu’elle est en visioconférence avec ses proches. Monique lui fournit un casque avec micro incorporé. Il faut maintenant procéder à un test. Gwendoline, la benjamine du groupe, est volontaire pour l’aider. Elle prend son PC portable et va dans le couloir pour éviter les interférences. Après plusieurs essais, Marie-Claire bondit : « C’est bon ça marche ! »
À l’autre bout de la table, Valérie n’a plus accès à son compte Facebook. Or c’est lui qui lui permettait de se connecter à d’autres applications, comme le site de vente de vêtements d’occasion Vinted. Plus gênant encore, Andrée, secrétaire à la retraite, a des difficultés avec France Connect. Ce dispositif est censé faciliter l’accès aux services publics tels les impôts, l’assurance maladie ou la caisse des retraites. Cependant, pour ceux qui peinent à utiliser les outils informatiques, cela peut devenir un obstacle de plus pour accéder à ses droits les plus élémentaires.
« Non au 100 % numérique, oui au 100 % accessible ! »
« Ce sont les personnes en situation de précarité qui ont le plus de démarches à faire », remarque Monique. Conséquence : les travailleurs sociaux se retrouvent assaillis par des personnes qui perdent en autonomie à mesure que la numérisation progresse et au gré des changements d’ergonomie des sites. Afin d’y remédier, les points d’accès public à internet (PAPI) se sont multipliés. Mais pour Valérie, ces PAPI ne suffisent pas : « J’étais souvent seule, j’avais droit à 30 minutes. Il fallait inscrire sur un papier la démarche que j’allais faire et appeler quelqu’un si besoin. »
Pour lutter contre la fracture numérique, ATD Quart Monde s’engage aussi par la voie du plaidoyer. Un rapport du Sénat indique que 14 millions de français souffrent d’illectronisme. Sandrine, une des participantes de l’atelier, a été auditionnée par le Défenseur des droits à ce sujet. Elle dénonce le tout numérique qui permet à l’État de « faire des économies de bouts de chandelles sur le dos des gens qui ont peu de moyens ». Elle a réclamé que les principaux concernés soient associés à la création des sites. Son leitmotiv : « Non au 100 % numérique, non au 100 % papier, oui au 100 % accessible. »
« À égalité avec les autres, je suis venu pour apprendre »
L’enjeu, pour ATD Quart Monde, est aussi de permettre à ses militants de s’exprimer avec plus de facilité, à l’oral comme à l’écrit. Sandrine, elle, est une enfant d’ATD. En 1987, elle accompagnait sa mère sur la dalle du Trocadéro à Paris, à l’appel de Joseph Wresinski, le fondateur du mouvement. Elle a bénéficié de l’éducation populaire de l’association. Une tradition qui se poursuit aujourd’hui avec les ateliers Lirecrire du vendredi matin. Ils permettent à ses membres de s’exprimer sur internet.
Patrick, journaliste retraité, ancien de la rédaction de Ouest-France, y participe. « Je suis un boomer, j’ai quelques difficultés avec le net. J’avais un peu peur de m’inscrire sur Facebook. Ici je me sens à égalité avec les autres », témoigne-t-il. Ses compétences en rédaction, sa connaissance de l’actualité sont utiles pour animer l’atelier d’expression écrite du vendredi.
Le vendredi, c’est souvent Guy qui arrive le premier pour installer le matériel. Discret mais efficace, il est militant à ATD depuis près de trente ans. Il se souvient avoir rejoint l’association « pour apprendre ». « On nous informait sur le passage à l’euro, les problèmes de société tels que le placement des enfants, etc. » Le thème de l’atelier du jour est la guerre en Ukraine. Chacun doit écrire une lettre à la personne de son choix. Certains s’adressent aux enfants ukrainiens, d’autres à la présidente de la Commission européenne. Ou directement à Vladimir Poutine.
« Ici on peut s’ouvrir, échanger nos points de vue »
Pendant vingt minutes, l’ambiance est studieuse. Tout le monde écrit son texte sur une demi-feuille A4 verte, sauf Patrick qui rédige directement sur son ordinateur. Viennent ensuite le temps de la lecture et un échange sur le contenu des lettres. Ensuite, chacun entre son texte dans l’interface de gestion du site de l’atelier. La correction est collective et les articles sont signés et portés par le groupe. Le site d’ATD Lirecrire compte plus d’une centaine d’articles et reçoit 100 visiteurs par jour en moyenne.
« On est toujours réticent à parler politique avec notre entourage car on essaye d’éviter les conflits. Mais ici, on peut s’ouvrir et échanger nos points de vue », témoigne Andrée. « Quand on n’est pas d’accord, on discute mais on n’a pas de grosses divergences parce que les valeurs d’ATD nous servent de boussole », ajoute-t-elle. L’atelier permet de combattre la peur de l’écrit pour Gwendoline : « J’arrive mieux à trouver mes mots. J’espère m’améliorer pour pouvoir aider ma fille quand elle fera ses devoirs. J’aimerais également trouver un emploi et cela me sera utile. »