À l’occasion de l’élection présidentielle, la série « Paroles de sans voix » donne la parole aux oubliés de la société. Sabrine est arrivée seule à Saint-Brieuc en 2020, avec ses deux enfants. Elle a connu le mal logement, l’hébergement d’urgence, avant d’obtenir un appartement décent. Pour affronter ces difficultés, elle a pu compter sur le soutien de l’Escale familles, une structure d’accueil de jour gérée par le Secours Catholique.
« Je sors enfin la tête de l’eau ». Sabrine, 24 ans, mère de deux garçons (de 2 et 3 ans) fait le bilan. Après plusieurs mois de galère, elle va enfin pouvoir souffler. Elle a trouvé un toit correct à Saint-Brieuc. Cette Tunisienne, titulaire d’un titre de séjour, arrive en France en 2018. Elle rejoint son mari à Paris. La violence s’immisce dans son couple. En 2020, elle se sépare. Le temps d’une décision de justice, les enfants sont placés, pendant trois longs mois. « J’ai été traumatisée par cette séparation », souffle Sabrine. De son côté, elle est hébergée par le 115. « Nous étions plusieurs femmes, dans la même chambre. » Un très mauvais souvenir. Elle finit par obtenir la garde de ses enfants et décide de rejoindre la Bretagne.
« J’allumais le sèche-cheveux pour qu’on se réchauffe avec les petits »
Bénéficiaire du RSA, elle trouve un studio de 20 m² en très mauvais état. Le propriétaire l’a prévenue, il doit faire des travaux. Sabrine le loue. Elle n’a pas d’autre choix. Elle ne veut pas faire vivre à ses enfants son expérience au 115. Très vite, l’appartement se révèle insalubre, mal isolé. « On dormait ensemble avec les petits. J’allumais le sèche-cheveux pour qu’on se réchauffe. Il arrivait que l’on passe la journée dans la voiture, pour avoir chaud. J’essayais de mettre les garçons chez l’assistante maternelle au maximum. Ce logement, c’était juste pour dormir. »
Dans le même temps, la jeune femme bénéficiaire entame des démarches pour un logement social. À Saint-Brieuc, il faut compter un délai de 15 mois avant d’obtenir un logement social selon l’Association régionale de l’Habitat social. Quand une première proposition est faite à Sabrine, elle se rend sur place. « C’était au rez-de-chaussée. Devant la porte, j’ai trouvé un caca… Dehors, sous les fenêtres, des gens fumaient de la drogue, trafiquaient sans se cacher. J’ai refusé ce logement. Je ne pouvais pas mettre mes enfants dans cet environnement où je ne me sentais pas en sécurité. »
« Quand tu n’as pas le minimum et qu’on te donne un peu, ça devient beaucoup »
Un jour, un proche vient dans son studio et lui ouvre les yeux sur sa dangerosité. Elle ne peut pas continuer à vivre là avec les petits. Sabrine appelle le 115, la boule au ventre. En décembre dernier, elle emménage finalement à Hybritel, une structure entre l’hôtel et l’hébergement d’urgence. C’est plus petit, mais elle a chaud. « Quand tu n’as pas le minimum et qu’on te donne un peu, ça devient beaucoup. Les gens me disent : “Oh ma pauvre”, mais je suis contente quand je pense à ce que j’avais avant », confie-t-elle.
Aujourd’hui, Sabrine s’apprête à entamer un nouveau chapitre. Elle vient d’obtenir les clés d’un appartement HLM avec deux chambres. « Je n’ai rien regardé. J’ai signé, même si je ne suis pas tout à fait sereine sur le quartier. » Elle a l’impression qu’on parque la misère au même endroit. « Mais je n’ai pas le choix », souligne-t-elle.
L’esprit apaisé, elle va maintenant pouvoir se mettre en quête d’un travail. Elle espère trouver un emploi dans le service à la personne. « J’étais trop dans l’urgence jusqu’ici. Je ne pouvais pas dormir. Comment aurais-je pu m’occuper des autres ? »
À l’Escale familles, « on ne fait pas pour moi, on m’explique comment faire »
À son arrivée à Saint-Brieuc, une assistante sociale oriente très vite Sabrine vers l’Escale familles. Niché dans les locaux de la maison diocésaine, il s’agit de l’unique accueil de jour de la ville à destination de parents et d’enfants en grande difficulté. La majorité des structures ne reçoit que les adultes.
Lancé en 2017, porté par le Secours Catholique, cet espace est ouvert quatre jours par semaine. Les familles peuvent y accomplir des tâches du quotidien : se laver, faire des lessives, préparer des repas, se reposer. Toutes connaissent des problèmes de logement, beaucoup sont en demande d’asile.
Une vingtaine de bénévoles s’y relaie, chacun avec ses compétences. Eric a par exemple beaucoup aidé Sabrine sur son budget. Il lui a appris à gérer ses contrats d’électricité ou internet, « sans faire pour elle, mais en lui expliquant comment faire ». Des professionnels, comme un travailleur social ou une psychologue, assurent aussi des permanences hebdomadaires.
« Une rampe de lancement vers ma nouvelle vie »
« L’Escale, c’est le point de départ pour moi, ma rampe de lancement vers ma nouvelle vie. J’ai tout appris ici », lance Sabrine, le regard brillant. « C’est ici que j’ai pu comprendre la société et la culture française, l’administration… ». Avant, ajoute-t-elle, elle était renfermée. « Je n’osais pas m’exprimer. Je n’osais pas parler. Je me disais que mon français n’était pas bon. » Sabrine a repris confiance en elle. Elle s’est même mise au chant !
« Ici, on fête les anniversaires, on cuisine, on échange, on essaie de leur apprendre comment fonctionne le système », précise Annette Paous, animatrice du Secours Catholique et à l’origine du projet de l’Escale. « On est un point fixe dans toute cette instabilité longue et usante. Et quand on est en grande précarité, on a besoin de reprendre des forces. »
Depuis l’ouverture de L’Escale, 208 familles ont ainsi été accueillies et accompagnées. L’équipe est toujours à la recherche de bénévoles pour continuer à ouvrir ses portes au maximum.
L’Escale Familles, 81 rue Mathurin-Méheut, à Saint-Brieuc. Ouverts les mardis et mercredis : 9 h – 12 h 30 / 13 h 30 – 16 h 30 ; le jeudi : 13 h à 16 h 30 ; le samedi : 9 h – 12 h / 13 h 30 – 16 h. Tél. : 06 47 16 64 62